Un peu d’histoire d’Air France

Mise à jour du samedi 16 janvier 2016 : Après le Comité central d’entreprise (CCE) mouvementé du 5 octobre dernier et l’arrivée de Gilles Gateau comme nouveau DRH (ex-directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls à Matignon), le CCE d’hier, plus calme, a confirmé les grandes lignes du plan Perform (voir dans l’article ci-dessous) incluant 1000 départs volontaires en 2016, et un plan de croissance en 2017 à condition que des efforts de productivité soient réalisés. Tout l’enjeu de long terme consiste en effet à ne pas se contenter du redressement des comptes rendu possible par la baisse du prix du pétrole, mais à se rapprocher des niveaux de compétitivité des grands concurrents européens, Lufthansa et British Airways. Reste à savoir ce que les syndicats, plutôt rassurés par le nouveau DRH, en penseront.


—->   Cet article a également été publié le lundi 5 octobre 2015 sur     logo-cp

« Faire du ciel le plus bel endroit de la terre », telle était la sublime ambition d’Air France, proclamée avec talent par les danseurs Benjamin Millepied et Virginie Caussin dans son film publicitaire(*) de 2011 intitulé L’envol. Aujourd’hui, le ciel et la terre sont devenus l’enfer pour la compagnie aérienne qui a annoncé vendredi 2 octobre dernier la suppression de 2 900 postes, le retrait de quatorze avions d’ici 2017 et la fermeture de cinq lignes long-courrier.

Un comité central d’entreprise prévu ce matin (lundi 5 octobre 2015) doit donner les détails de ce « Plan B » qui intervient après l’échec des négociations menées en septembre avec les syndicats des pilotes afin d’augmenter leurs heures de vol sans hausse de salaire. Inquiets pour l’avenir de l’emploi chez Air France, les syndicats CGT, FO et Unsa ont appelé leurs adhérents à faire grève pendant deux heures aujourd’hui. De leur côté, les pilotes, et notamment le syndicat majoritaire SNPL, sont sous le feu des critiques, y compris en interne, et se disent maintenant prêts à reprendre les discussions.

Selon un article de La Tribune daté du 24 septembre 2015, c’est-à-dire du jour où Air France a publié ses résultats du 1er semestre 2015, la compagnie renouerait en 2015 avec des résultats d’exploitation positifs grâce à la baisse du prix des carburants et se trouverait donc aujourd’hui dans une position de négociation paradoxale. En effet, dans ce contexte, les syndicats des personnels navigants ou au sol ne voient pas où est l’urgence de renforcer un plan d’économies qui court déjà, d’autant que la tendance favorable sur le kérosène devrait se prolonger en 2016. Du reste, sans la longue grève des pilotes de septembre 2014, dont la perte d’exploitation est estimée à 425 millions d’euros, l’année 2014 aurait déjà pu présenter une exploitation bénéficiaire.

Si la remarque sur 2014 est exacte, je ne sais où le journaliste de La Tribune a trouvé ses renseignements sur le retour à un résultat d’exploitation positif en 2015 (qu’il appelle parfois situation bénéficiaire, ce qui n’a rien à voir). Il est vrai qu’en début d’année le PDG du groupe, Alexandre de Juniac, s’était engagé sur un exercice 2015 bénéficiaire, notamment par la mise en oeuvre complète du plan stratégique Perform 2020, très orienté sur la baisse des coûts et la recherche de productivité.

Mais dans le communiqué officiel du 1er semestre, rien de tel n’apparait. Au contraire, le résultat d’exploitation des six premiers mois est chiffré à une perte de 232 millions d’euros (**), et il est indiqué que les gains sur le carburant seront absorbés par les fluctuations de change et la pression sur les recettes unitaires (recettes par siège par kilomètre offert ou RSKO). Les engagements de fin d’année concernent uniquement la poursuite de la baisse du coût unitaire (coût par siège par kilomètre offert) et la diminution de la dette nette (voir paragraphe Perspectives en page 9 du document donné en lien ci-dessus).

En réalité, le coup de pouce apporté par le moindre coût du carburant est l’arbre qui cache la forêt. A long terme, la société Air France KLM est pénalisée par sa structure de coûts peu concurrentielle par rapport aux autres acteurs du transport aérien, à savoir les compagnies occidentales traditionnelles, telles British Airways et Lufthansa, qui ont déjà opéré leur restructuration, les compagnies asiatiques (pays du Golfe en tête) dont les services sont excellents, les flottes modernes et les coûts encore très avantageux, et les nouvelles compagnies low-cost qui ont basé toute leur stratégie sur un service de masse à bas coûts. La croissance du marché du transport aérien est solide (+ 5,9 % en 2014 selon IATA et un possible + 7 % en 2015) mais parallèlement, la croissance de l’offre est au moins égale à ces chiffres, et la part du low-cost augmente, d’où l’impérieuse nécessité de créer un avantage de coût sur les lignes et les secteurs exploités.

Dès 2010, la compagnie française s’est attelée à améliorer ses coûts unitaires et à augmenter ses recettes unitaires à travers un premier plan stratégique à cinq ans appelé Transform 2015 : développement du low-cost avec Transavia, suppression d’environ 5 000 postes par plan de départs volontaires et non remplacements, cession d’avions et enfin gain en productivité chez les pilotes et le personnel navigant commercial (PNC). Pour ces derniers par exemple, la composition de l’équipage passera à un pour 45 passagers, soit un de moins sur long-courrier.

En 2014, la direction d’Air France a annoncé la poursuite des efforts entrepris avec Transform 2015 grâce au nouveau plan stratégique Perform 2020. L’idée est toujours la même, accroître la productivité des personnels en augmentant les heures travaillées et renforcer le secteur du low-cost en étendant les opérations de Transavia hors de France et hors d’Europe. C’est cette dernière disposition qui déclencha la fameuse grève des pilotes d’Air France de septembre 2014. Ils craignaient, non sans raison mais dans un réflexe de conservation de leurs privilèges acquis en de tout autres circonstances, que les conditions de recrutement d’une compagnie low-cost de plus en plus importante au sein du groupe ne deviennent la norme pour leurs rémunérations et leurs heures de vol.

Capture d’écran 2015-10-04 à 14.45.14Le schéma ci-contre (cliquer pour agrandir), extrait de la présentation du groupe Air France KLM relative à ses résultats consolidés de l’année 2014 (page 19), montre comment le groupe est passé d’un résultat d’exploitation positif de 130 millions d’euros en 2013 à un résultat négatif de -129 millions en 2014. La grève des pilotes, évaluée à 425 millions d’euros en perte d’exploitation, n’y est pas pour rien.

Résultats Gr AFDans le tableau ci-contre (cliquer pour agrandir), j’ai reconstitué les comptes consolidés du groupe Air France KLM, de 2012 aux six premiers mois de 2015. Ils recouvrent toutes les activités des cinq grands secteurs de la compagnies, c’est-à-dire : Transport classique passagers, Cargo, Maintenance, Transavia (low cost) et Catering. La stratégie déterminée dans Transform 2015 puis Perform 2020 pour chaque secteur consiste à développer le transport classique passagers dans le sens du haut de gamme, à faire décroître le fret, à développer la maintenance de moteurs et autres matériels techniques, et surtout à développer Transavia. Le secteur du Catering (= traiteur) est anecdotique (1 % du chiffre d’affaires du 1er semestre 2015). Pour l’instant, le premier secteur représente 79 % du chiffres d’affaires, le cargo 10 %, la maintenance 6,3 % et Transavia 3,7 %. Si sa part est encore faible, la compagnie low-cost présente en 2015 une croissance du chiffre d’affaires (+ 3,5 %) supérieure à celle du transport passagers classique (+ 1,9 %).

Dans son communiqué, déjà cité plus haut, sur les résultats du 1er semestre 2015, Air France expliquait que :

Les négociations sur les gains de productivité ont été finalisées avec les syndicats de KLM. L’accord avec le syndicat de pilotes va maintenant être soumis à l’approbation des membres du syndicat.
Les négociations se poursuivent chez Air France selon un calendrier resserré afin d’aboutir à la fin du mois de septembre 2015.

Eh bien, les négociations ont abouti le 30 septembre dernier par une fin de non recevoir de la part des pilotes, ce qui nous amène à la situation présente du « Plan B » et au spectre de « l’attrition. » Avec Perform 2020, Air France se positionnait sur une trajectoire de croissance. L’objectif d’atteindre un résultat d’exploitation de 740 millions d’euros en 2017 permettait d’envisager une croissance de la flotte et des lignes desservies.

Selon les études effectuées en interne, le retrait d’un avion correspond au départ de 230 personnes, dont 130 au sol et 100 en vol. Tout résultat d’exploitation autour de 400 millions d’euros entraînerait une stabilité de la flotte suivie de sa réduction, tandis que sous la barre des 100 millions ce serait le signe fatal de « l’attrition », maladie grave des compagnies aériennes qui se décline en perte des personnels les plus jeunes et les plus dynamiques (conséquence des plans de départ qui protègent l’ancienneté), baisse des effets d’échelle, et perte d’attractivité du programme de fidélité (puisqu’il y a de moins en moins de lignes actives) donc de la part de valorisation de la compagnie due à ses capacités de « big data. » Au final, baisse de la flotte et repli des capitaux propres. Dans ces conditions, qui furent celles de British Airways, seule une baisse drastique du coût unitaire pourrait permettre de passer le cap et repartir.

Les pilotes et les PNC ont donc refusé les demandes de la direction d’Air France de travailler plus pour les mêmes rémunérations. Sur moyens courriers, il s’agirait de passer de 585 heures annuelles à 690 heures, tandis que sur longs courriers, les pilotent voleraient 750 heures au lieu de 650. A comparer aux 1 607 heures annuelles d’un salarié lambda qui travaille selon l’horaire légal de 35 heures par semaine. Quant aux salaires, si l’on en croit un article du Figaro datant de la grève de l’année dernière, ils vont de 6 300 euros bruts par mois pour un copilote débutant et peuvent atteindre en moyenne 16 300 euros bruts mensuels pour un commandant de bord moyen-courrier (13 300 chez Transavia).

Le « Plan B » annoncé vendredi et développé aujourd’hui en Comité central d’entreprise tend à renvoyer la balle du côté des pilotes du SNPL pour une ultime remise en cause. Ils savent, depuis la grève de septembre 2014, que leur image dans l’opinion est désastreuse. Ils savent, depuis le terrible accident du vol AF 447 Rio-Paris de 2009, le plus meurtrier qu’Air France ait connu à ce jour,  qu’ils ne sont pas à l’abri de devoir exercer leurs responsabilités. On se rappelle que si ce crash était dû au départ à une défaillance technique des sondes Pitot, le commandant de bord n’était pas dans le cockpit au moment du décrochage, et que les deux autres pilotes, enfin rejoints par le premier, n’ont pas compris ce qui se passait et ont réagi à l’inverse de ce qu’il aurait fallu faire. Selon les informations du journal Le Point, les pilotes avaient pris place à bord dans un état de fatigue incompatible avec leur mission professionnelle.

Aujourd’hui, la direction d’Air France a le soutien du gouvernement. Tétanisé par la perspective d’un plan de licenciement supplémentaire, surtout dans une entreprise où l’Etat détient 17,6 % du capital au 31 juillet 2015, Michel Sapin a expliqué hier, avec une clairvoyance inhabituelle qu’on aimerait plus fréquente, que :

Quand le dialogue est bloqué par une  minorité sur des visions purement individuelles et corporatistes, oui, cela peut mettre en danger l’entreprise.


L’article suivant « Baroud syndical, violence sociale et place de l’Etat » du 8 octobre 2015 traite des incidents peu glorieux qui ont eu lieu pendant le CCE d’Air France du 5 octobre et s’interroge sur les incohérences de l’Etat en tant qu’actionnaire d’Air France et plus généralement sur sa place dans la société.


AF pub(*) Illustration de couverture : Image du film publicitaire d’Air France « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre » (2011) : Sur un extrait de l’adagio du Concerto pour piano N° 23 de Mozart, chorégraphie de Angelin Preljocaj dansée par Benjamin Millepied et Virginie Caussin. Réalisé dans le désert marocain en un seul plan séquence sans effets spéciaux par l’Agence BETC (1′ 01″) :

(**) Cependant, les mois de juillet et août étant traditionnellement plus actifs que les autres mois de l’année, une amélioration du résultat d’exploitation au second semestre n’est pas impossible.

5 réflexions sur “Un peu d’histoire d’Air France

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  2. Je n’aurait aucune larme quant à la liquidation de cet ex-monopole issu du communisme d’après guerre ! Un certain nombre d’entreprises privées sauront bien mieux gérer les « Baby Air France (référence aux Baby Bell Telephone Companies aux USA)
    Chez KLM les choses se sont passées bien mieux, nonobstant quelques tensions bien compréhensibles.

    • Pour les baby Air France, je ne sais pas. C’est un métier avec des effets de taille. Il faudrait faire une analyse stratégique fine.
      Vous connaissez la blague : « Comment devenir millionnaire ? Soyez milliardaire et achetez une compagnie aérienne. »
      Je pense à Virgin Atlantic : extraits de l’executive summary d’une étude de University of Westminster fev 2015 :
      « Fuel prices on the rise and the pressure of rising market shares of low cost airlines in the aviation sector creates a very small margin of profit and operation. Airlines are therefore merging to reduce their losses and expand their service base.  »

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