BUDGET 2016 : opérations de contes à comptes

Article révisé le 2 octobre 2020. Les mises à jour relatives au PLF 2016 sont en fin d’article.

logo-cpNous sommes au mois de septembre, époque traditionnelle de la rentrée des classes, des vendanges et des budgets. Sur ce dernier point, toujours délicat, Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a présenté hier (mercredi 16 septembre 2015) les grandes lignes macro-économiques qui présideront à la finalisation du Projet de loi de finances prévu pour 2016.

Curieusement, au même moment, il confirmait que la deuxième étape du pacte de responsabilité, censée démarrer au 1er janvier 2016, serait retardée de trois mois afin de permettre le financement d’autres mesures en faveur des entreprises, faisant ainsi la preuve que le gouvernement n’est jamais à une promesse ou une dédite près, dans un contexte budgétaire ultra-tendu, surtout depuis la dernière annonce de François Hollande de faire sortir huit millions de foyers fiscaux de l’impôt sur le revenu pour un total de deux milliards d’euros.

Je vous propose de faire un petit tour des comptes publics et des budgets, pour mieux comprendre ce que le gouvernement va nous annoncer officiellement le 30 septembre en matière budgétaire pour 2016.

Déficit budgétaire, déficit public et dette publique :

Faire un budget consiste à évaluer ce que seront les recettes et les dépenses d’un ou des exercices futurs, en tenant compte d’un certain nombre d’hypothèses relatives à la conjoncture d’une part et à la politique que le gouvernement entend mener d’autre part.

Dans le cas de l’État et de toutes les structures apparentées, les comptes publics se décomposent en trois parties : l’État central (et ses agences, type Pôle emploi, Anses etc.), les collectivités territoriales (régions, départements, communes… ) et les administrations de sécurité sociale.

Lorsqu’on ne considère que l’État central et ses agences, la différence entre les recettes et les dépenses donne lieu à un excédent ou un déficit budgétaire, tandis que lorsqu’on englobe les trois composantes, on parle d’excédent (espèce disparue depuis 1974) ou de déficit public. Les déficits publics sont financés par des émissions d’emprunts qui s’accumulent pour former la dette publique.

PIB et taux de croissance de l’économie :

Le PIB, ou Produit intérieur brut, mesure la production réalisée par tous les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) en une année à l’intérieur d’un pays. Le PIB, expression de la création de richesse nationale, sert de référence à de nombreuses autres grandeurs économiques. C’est toutefois une grandeur sujette à interrogation dans la mesure où il est difficile d’évaluer la contribution exacte du secteur public, celui-ci évoluant hors marché.

On appelle croissance la variation de ce PIB d’une année à l’autre, mesuré en volume, ou à prix constants, pour éliminer les effets de l’inflation. Depuis la crise de 2008, la France a beaucoup de mal à regagner de la croissance. L’objectif du gouvernement pour l’année 2015 en cours est de 1 %, après deux années atones à 0,4 % l’une et l’autre et une année de croissance nulle en 2012.

Pacte de stabilité et de croissance :

Notre appartenance à l’Union européenne et à la zone euro nous engage à respecter les critères dits de Maastricht, aussi appelés Pacte de stabilité et de croissance. Concernant les finances publiques, ils stipulent que le déficit public défini ci-dessus doit rester inférieur à 3 % du PIB et que la dette publique doit être inférieure à 60 % du PIB.

La grave crise financière que nous avons connue à partir de 2008 ayant fait exploser les comptes publics par hausse des dépenses à partir de 2009 et baisse momentanée des recettes en 2009, aucun de ces critères n’est actuellement respecté par la France.

L’un des enjeux du budget consiste précisément à se remettre sur une trajectoire de retour au pacte de stabilité. Lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait promis de renouer avec les 3 % de déficit public en 2013, mais cet objectif fut ensuite repoussé à 2015, puis maintenant à 2017 :

Le retour à une dette publique inférieure à 60 % du PIB parait beaucoup plus compliqué à atteindre, nous sommes en effet à un taux de 95,6 % à fin 2014 (et 98,1 % fin 2019) :

Ce n’est pas la Grèce (176 %), mais ce n’est pas non plus l’Allemagne (74,8 % en 2014 et 60 % en 2019) ou les Pays-Bas (69 % en 2014 et 50 % en 2019) :

Part de la dépense publique dans le PIB :

En France, on constate que la part de la dépense publique dans le PIB ne fait qu’augmenter. De 35 % en 1960, elle a dépassé les 50 % au début des  années 1990 pour se situer aujourd’hui à 57,2 %. Par comparaison, l’Allemagne était à 45 % en 2012, quand nous caracolions déjà à 55 % :

Cette évolution reflète l’emprise croissante de l’Etat dans notre économie et s’explique principalement par des salaires de la fonction publique non maitrisés (gel du point d’indice plus que compensé par une explosion des primes, par exemple), ainsi que par une dépense sociale en perpétuelle augmentation.

Prélèvements obligatoires :

Face à la croissance de la dépense publique, les agents économiques sont soumis à des prélèvements obligatoires qui se décomposent comme suit : Tous les impôts et taxes qui vont à l’Etat central (exemples : TVA, Impôt sur le Revenu, Impôt sur les sociétés), tous les impôts et taxes qui vont aux collectivités locales (exemples : taxe foncière et taxe d’habitation) et toutes les cotisations sociales qui vont aux administrations de la sécurité sociale.

Par rapport au PIB, ces montants oscillent entre 42 et 45 % depuis 2005. Encore une fois, la France prend la tête du peloton, la moyenne des pays de l’OCDE étant de 34 % en 2013, l’Allemagne à 37 % et le Royaume-Uni à 33 % :

Chiffres de 2005 à 2014 :

A l’aide des sources citées plus bas, j’ai tenté de reconstituer dans le tableau ci-contre les valeurs des grandeurs définies  ci-dessus pour les années 2005 (avant la crise), 2007, 2008, 2009 (effet crise) et 2012, 2013, 2014 (mandat Hollande), ainsi que les quelques hypothèses connues pour 2015 et 2016 :

France Comptes publics 16092015On dit souvent qu’un schéma est mille fois plus parlant qu’un tableau de chiffres ou un long discours. Je trouve cependant que les courbes qui montent et qui descendent ne permettent pas toujours de prendre conscience des montants en jeu.

Je confesse avoir eu beaucoup de difficultés pour faire ce tableau, notamment parce que l’INSEE change souvent de format pour présenter ses chiffres et qu’il corrige assez régulièrement ses publications. Par exemple, un chiffre de 2009 ne sera pas forcément le même dans le communiqué portant spécifiquement sur 2009 et dans un communiqué ultérieur portant sur 2012 faisant mention pour rappel de l’année 2009. Les différences sont néanmoins faibles, donc je pense que mon tableau d’ensemble est au final assez fidèle à la réalité.

Sources :

PIB : INSEE et Eurostat.
Taux de croissance : INSEE, Le Figaro, Les Echos.
2005 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1078
2005 et 2007 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&id=2270
2008 et 2009 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1293
2012 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1446
2013 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1500
2013 et 2014 : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1548
Budget 2015 :
http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/20141001_PLF2015_A5.pdf
Budget 2016 : Presse

Quelques remarques sur le Budget 2016 annoncé :

Michel Sapin a donc présenté les hypothèses de travail pour le budget 2016.

Le premier point concerne la croissance. La prévision de 1 % au titre de 2015 reste en vigueur en dépit d’un très mauvais second trimestre tombé à zéro. Pour 2016, le gouvernement, se disant prudent, table sur 1,5 %. C’est pourtant plus que les dernières estimations de l’OCDE qui situent la France à 1,4 %. De son côté, l’agence de rating Moody’s table sur 1,2 %.

De nombreux commentateurs se sont fait l’écho d’un ralentissement de l’économie mondiale, aussi bien en provenance de la Chine que du Brésil, mais selon le ministre, la croissance est bien là et tous les indicateurs sont en train de passer au vert.

Ainsi, le déficit public devrait se situer à 3,8 % du PIB cette année, puis à 3,3 % en 2016, pour enfin repasser en dessous de 3 % en 2017. La prévision de dépenses publiques serait de 55,1 % du PIB et les prélèvements obligatoires suivraient également une pente fabuleusement descendante pour se situer à 44,5 %, après 44,9 et 44,6 en 2014 et 2015 ! Si l’on veut.

En réalité, le budget 2016 présente quelques petites difficultés que l’annonce de décaler l’application de la phase II du pacte de responsabilité (baisse de charges sociales pour les entreprises) met au grand jour : les financements de toutes les mesures envisagées ne sont pas au point et il faut donc jouer serré pour arriver à maintenir le déficit public à 3,3 %.

Outre ce délai d’application, le gouvernement compte avec beaucoup d’optimisme sur une inflation à 1 % (contre 0,1 % en 2015) et sur des indicateurs (les taux d’intérêt, notamment) qui seraient in fine moins élevés que prévu.

Compte-tenu des données annoncées, on voit donc pour l’instant que le budget de la France reste résolument du côté du Tax and Spend, c’est-à-dire taxer et dépenser, plutôt que du côté de la réduction significative des dépenses suivie de la réduction tout aussi significative des impôts.

Le dernier numéro de The Economist (Sept. 12th – 18th 2015) faisait état d’une étude de l’OCDE portant sur la façon dont onze grandes économies mondiales ont procédé pour rétablir leurs comptes publics. Il ressort très clairement (graphique ci-dessous) que la France est le seul pays ayant entièrement basé sa politique sur une augmentation des impôts (en rose) et aucune baisse de dépenses (en bleu) :

Il n’est guère étonnant dans ces conditions que notre économie, tirée vers le bas par un secteur public démesurément vorace, ait le plus grand mal à repartir. Or l’aide indirecte venue de la croissance mondiale semble devoir faire défaut pendant quelque temps.


Mise à jour du jeudi 1er octobre 2015 : La présentation du budget 2016 par le ministre des finances Michel Sapin hier 30 septembre 2015 confirme les craintes qu’on pouvait avoir : les économies n’existent que par rapport à une « hausse tendancielle. » Lire ici (Les Echos) les principaux éléments chiffrés, et (Les Echos) et à nouveau  (L’Opinion) les critiques qu’on peut déjà adresser à ce budget, qualifié par ce dernier journal de « Budget d’épicier d’une France l’arme au pied. »

Mise à jour du vendredi 26 février 2016 : Le budget 2016 a été voté cet automne (voir article ci-dessus ainsi que ). Nous sommes fin février 2016 et il apparait plus que clairement qu’il ne sera pas tenu en l’état. L’hypothèse d’inflation de 1 % retenue par le gouvernement était jugée trop élevée par tous les observateurs et s’avère, ô surprise, trop élevée.

De plus, François Hollande a commencé l’année (= sa campagne électorale ?) en annonçant plusieurs milliards de dépenses pour l’emploi, les agriculteurs, la lutte climatique etc… de telle sorte que le gouvernement cherche maintenant à raboter la faible somme de 7 à 8 milliards d’euros sur le budget 2016 en cours d’exécution. Le respect du pacte de stabilité (déficit public < 3 %), toujours repoussé, et maintenant promis pour 2017, semble compromis.


Michel Sapin 1Illustration de couverture : Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics – Photo © Maxppp.

5 réflexions sur “BUDGET 2016 : opérations de contes à comptes

  1. Depuis 30 ans il me semble n’avoir jamais vu un gouvernement tabler son budget sur des  » hypothèses basses » car cela ne paie pas électoralement.
    Les hommes politiques s’adaptent à leur « marché » , ils font des choix rationnels par rapport à leur carrière politique (en tous cas leur carrière politique à court terme)

  2. On ne peut que souscrire à ces propos raisonnables, d’autant que le menteur de service ( en ce moment Mr Sapin ) n’a visiblement pas l’intention d’assumer 2017 et le retour à 3% du déficit public.
    Les dépenses en personnel de notre administration étant les plus budgétivores, il est de la première nécessité de tailler désormais dans le gras des élus locaux et de leurs administrations pléthoriques et redondantes. Tous les grands pays d’Europe de taille et de population comparable à la France ont réduit à 3000, le nombre de leurs communes. Cessons de rajouter des structures aux structures, les grandes communes mises en place supposent la suppression des petites qu’elles recouvrent et non leur juxtaposition. Ne tombons pas dans le même travers pour les Grandes Régions qui vont finir par doublonner avec les petites qu’elles recouvrent !!!
    Le gain pour les finances publiques en serait considérable, il éviterait de renoncer aux dépenses d’Equipements qui nourrissent au contraire l’activité économique, en plus du fait qu’ils seront porteurs de plus grande efficacité et de meilleur rendements si l’on songe à certains canaux, certaines voies ferrées et tunnels, nos ports et nos aéroports.
    J’ajoute que même sur le plan électoral, l’opinion verrait d’un assez bon œil la simplification des structures administratives, élus et personnels fonctionnaires ou sous contrats compris. Il n’y a bien sûr que certains personnels politiques pour regimber, le courage de ne pas écouter leurs jérémiades n’est pas tel que l’obstacle soit insurmontable.
    Enfin le degré de démocratie n’en sera nullement réduit si on élit les responsables des grandes communes au suffrage universel, au lieu que ce soit, aujourd’hui, au sein de côteries uniquement préoccupés de leur survie.
    Merci de redire tout cela dans le cadre de vos instruments de communication et de porter ces éléments au débat.

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