Emmanuel Macron, les 35 heures et la suite de sa carrière

logo-cpL’Université d’été du MEDEF a un effet prodigieusement euphorisant sur nos ministres socialistes. Ils ne sont pas plus tôt entrés sous le grand chapiteau patronal qu’ils sont soudain pris d’une passion dévorante pour l’entreprise. Rappelons-nous que l’an dernier à la même époque, Manuel Valls, Premier Ministre, avait eu l’insigne honneur d’une « standing ovation » de la part des patrons car il avait déclaré tout feu tout flamme que, lui, il aimait l’entreprise :

« La France a besoin de ses entreprises, de toutes ses entreprises (…), car ce sont les entreprises qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent de la richesse qui doit profiter à tous. Et moi, j’aime l’entreprise ! »

Comme c’est beau ! On croirait presque qu’il a appris par coeur mes articles sur la Baraque à Frites !  

Cette année n’a pas fait exception. L’invité gouvernemental d’honneur était Emmanuel Macron, Ministre de l’économie, qui a su, lui aussi, trouver les mots pour le dire, dans le registre amoureux un peu lourd et survolté qui caractérisait déjà les déclarations de son patron : « Vous avez l’amour, et vous avez les preuves d’amour » a-t-il assuré à un Pierre Gattaz légèrement moins enthousiaste que l’an dernier. Et les preuves, c’est qu’il a admis que « la gauche n’est pas exempte de toutes critiques », notamment sur le sujet du temps de travail :

« La gauche a cru que la France pouvait aller mieux en travaillant moins, c’était des fausses idées. »

.
Que n’avait-il pas dit là ! Au MEDEF, en plus, et à la veille de l’Université d’été du Parti socialiste à la Rochelle ! Oserait-il parler, avec une traitre légèreté, des « 35 heures », cette grande réforme de la Gauche, cette avancée sociale aussi emblématique que les mesures du Front Populaire sur le temps de travail et les congés payés ? Travailler moins serait une fausse idée ? Mais alors travailler plus, du Sarkozy dans le texte, serait une vraie idée ?

C’est ignoble de faire ainsi le jeu du grand capital et de pactiser avec la finance abhorrée. C’est ignoble de faire ainsi le jeu de la droite. Selon Yann Galut, député PS du Cher et gardien du temple, avec de tels propos, Emmanuel Macron a purement et simplement « insulté Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand, Lionel Jospin et Martine Aubry (…) » ! Tout ce que la gauche compte de ténors, et surtout de frondeurs, s’est ainsi jeté à bras-le-corps dans une polémique qui ne pouvait prendre fin qu’avec la tête du coupable au bout d’une pique, ou bien sa repentance intégrale.

C’est manifestement à cette dernière solution qu’on en est arrivé. Manuel Valls, pourtant lui-même pourfendeur des « 35 heures » en son temps, a choisi de calmer le jeu en prévision de la Rochelle. Il a donc dûment recadré son ministre en assurant à tout le petit monde socialiste qu’il n’y aurait « pas de remise en cause du temps légal de travail et des 35 heures. »

Quant à Emmanuel Macron, il a utilisé une méthode très prisée de Ségolène Royal pour retomber harmonieusement sur ses pieds : il n’a jamais dit ça, on l’a mal compris. « Je ne parlais pas des 35 heures mais du rapport au travail. Il en faut plus, pas moins, » a-t-il finalement tenté d’expliquer, de façon volontairement embrouillée.

Il est dommage que les socialistes aient une fâcheuse tendance à réagir de façon quasi pavlovienne à certains mots ou groupe de mots. Car s’ils avaient relevé avec attention tout le discours du ministre au MEDEF, ils se seraient rendus compte qu’Emmanuel Macron n’avait pas que des gentillesses à dire aux chefs d’entreprise. Il a abordé de nombreux autres thèmes qui auraient beaucoup plu à l’aile gauche du PS.

Il a en effet dénoncé « le cynisme d’une partie de l’élite économique de notre pays », « des entreprises rabougries », le « malheur des Français au travail », le manque d’innovation et le chômage record chez les jeunes. D’après Emmanuel Macron, si la croissance n’est pas franchement là et si le chômage est beaucoup trop là, « ce n’est surtout pas la faute des politiques »  :

« Ce n’est surtout pas la faute des politiques si certains des engagements que vous avez pris ne sont pas tenus : réduire le coût du travail, c’était notre engagement et il est tenu. Signer des accords de branche en contrepartie, c’est votre responsabilité, et c’est trop lent ! »

.
On comprend pourquoi Pierre Gattaz et ses pairs se sont montrés assez dubitatifs sur les propos du ministre et ne l’ont salué que de quelques minimes applaudissements. Echaudés par les effets absolument inexistants des déclarations empressées de Valls l’année précédente, ils n’étaient pas décidés à se laisser compter fleurette de la même façon cette année.

Il était question de simplification, il était question de modernisation du dialogue social, et finalement il n’y aura eu que des contraintes supplémentaires : les seuils sociaux qui bloquent les embauches sont toujours là, le compte pénibilité, ahurissant de complexité, a été simplifié, mais il est toujours là aussi, et de toute façon le marché du travail est toujours aussi rigide. Et maintenant Manuel Valls l’a confirmé, les « 35 heures » sont de l’ordre du totem. Aussi, les remarques acides du ministre de l’économie ne pouvaient que très mal passer auprès des dirigeants d’entreprise.

En revanche, on comprend de moins en moins où se situe Emmanuel Macron sur le plan politique et  sur le plan économique.

Son grand fait d’armes ministériel à ce jour est la fameuse loi Macron qui vise à libéraliser l’économie française. Sa sortie sur le temps de travail, quoi qu’il en dise, tend à bousculer le grand marqueur de gauche que sont les « 35 heures ». Présent à l’Université du MEDEF, il fut absent de celle du PS, en disant qu’il n’avait pas été invité. Selon ces termes-là, on ne peut que se demander ce qu’il fait dans un gouvernement socialiste. Du reste, Gérald Darmanin, député Les Républicains du Nord, s’est bien amusé et nous a tous bien amusés en lui offrant l’asile politique dans son parti  :

Mais d’un autre côté, la loi Macron est une loi à la fois minuscule, brouillonne et touche-à-tout qui est bien loin de constituer la révolution libérale qu’il faudrait appliquer à la France pour espérer commencer à voir un début de croissance de l’investissement, de la production et de l’emploi. Les critiques acerbes distillées aux entreprises ainsi que son revirement sur les « 35 heures » tendent à le faire rentrer dans la catégorie des ministres socialistes les plus classiques et les plus irresponsables : ceux qui sont si gentils et qui arrangent toujours tout.

Comme je l’expliquais dans un précédent article, si nos indicateurs économiques sont préoccupants, il ne saurait être question de s’interroger sur la validité des politiques menées, puisqu’elles sont socialistes donc excellentes par construction. Non, non. Si rien ne va, on trouvera toujours quelqu’un qui « n’a pas joué le jeu. » Emmanuel Macron, en parfait socialiste qu’il est, a trouvé qui morigéner : les entreprises. Ça aussi, c’est un marqueur de gauche.

Donc Emmanuel Macron est socialiste. Finalement, la logique est sauve : comme il est ministre de l’économie dans un gouvernement socialiste, c’est assez normal. Dans ce cas, pourquoi cultive-t-il avec tant d’application un profil vaguement, très vaguement, libéral, qui fait systématiquement sauter au plafond la gauche, la gauche de la gauche et l’arrière-gauche la plus « Filoche et Mélenchon » compatible ? Je ne vois qu’une explication, celle de son plan de carrière.

Emmanuel Macron est jeune, trente-huit ans à peine, et il est déjà ministre de l’économie. Après un épisode de quatre ans (2008 à 2012) comme banquier d’affaires à la Banque Rothschild, dans laquelle il a eu tout loisir d’amasser les commissions et de garnir abondamment son carnet d’adresses côté secteur privé, son passage au gouvernement à un poste éminent lui assure maintenant ses grandes et ses petites entrées dans l’ensemble des secteurs public et privé, à tous les niveaux possibles, en France comme à l’international. Ses propos sont suffisamment contournés et ambigus pour lui ouvrir les portes à droite et à gauche.

Quand on sait qu’Arnaud Montebourg n’a jamais cultivé que la gauchitude la plus étroite et qu’il s’est vu offrir un joli petit strapontin à rayures chez Habitat, quand on sait que Pierre Moscovici, ministre incompétent s’il en fut, a finalement atterri à Bruxelles comme commissaire européen à l’économie, on ne peut qu’imaginer les postes les plus rutilants pour l’habile Macron.

Il n’aura aucun mal, je pense, à s’obtenir un brillant pantouflage dont la France a le chic, aussi bien au sein d’un gouvernement, y compris de droite (les hommes politiques y aiment les belles « prises » qui permettent de cultiver « l’ouverture »), qu’au sein d’une institution internationale de renom façon Moscovici en plus classe, ou d’une très grande entreprise où il est bien vu de diversifier les origines des salariés et dirigeants, surtout quand ces derniers disposent du carnet d’adresses qui sera celui d’Emmanuel Macron à la fin de sa période ministérielle.

Le passage d’Emmanuel Macron dans un gouvernement socialiste peu populaire et notoirement incompétent ne lui causera donc finalement aucun tort. Il a pris bien soin de marquer une vraie-fausse différence avec l’aile gauche de son parti et les autres ministres du gouvernement dans lequel il siège.

En revanche, il y a tout lieu de se demander si son équipée au ministère de l’économie n’aura pas causé le plus grand tort à la France, d’abord par une politique qui se révèle mois après mois inopérante, et ensuite en ruinant définitivement dans l’esprit des Français la notion de « libéralisation de l’économie. »


Mise à jour du samedi 19 septembre 2015 : Il a récidivé ! Après le temps de travail, le statut des fonctionnaires, dont Emmanuel Macron semblait penser hier (vendredi 18 septembre 2015) qu’il ne serait plus « adéquat » au monde d’aujourd’hui. Le schéma, bien rodé maintenant, s’est reproduit à l’identique : Emmanuel Macron fait des déclarations vaguement fracassantes à tendance vaguement libérale à une assemblée privée, le Medef pour les 35 heures, le Think Tank « En temps réel » (de gauche) cette fois-ci, le premier ministre ou le Président de la République « recadrent » et Emmanuel Macron dit qu’il n’avait jamais dit ça !


Voir aussi : Macron : Je suis ministre et je n’ai rien fait, alors « En Marche ! » (20 avr 2016)


Emmanuel MacronIllustration de couverture : Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Photo Bruno Delessard / « Challenges »-REA.

7 réflexions sur “Emmanuel Macron, les 35 heures et la suite de sa carrière

  1. Pingback: Emmanuel Macron, les 35 heures et la suite de sa carrière | Contrepoints

  2. Personnellement je n’ai jamais compris pourquoi cette « Loi Macron » était présentée par tous les media comme une loi libérale. C’est un fourre tout de demi mesures qui portent sur des détails et bien peu sont vraiment d’inspiration libérale.
    Pas étonnant une fois de plus que le libéralisme soit complètement incompris par la majorité des français.

  3. Vous savez Nathalie à quel point la pensée libérale a mauvaise presse dans ce pays. Et que les hommes politiques , je ne parle même pas des partis organisés (il n’en existent pas), qui s’en réclament, philosophiquement, passent plus de temps, dans leurs pratiques, à s’en excuser, qu’à la promouvoir… Dans un de mes post sur ce sujet, (http://contre-regard.com/la-liberte-de-parole-demmanuel-macron-carbonise-la-langue-de-bois-de-ses-critiques/) je me suis cependant attaché à montrer que cette parole de Macron, même instrumentalisée, voir aussi mon commentaire en réponse à Yannick Bénézech, produisait des effets idéologiques déstructurants dans le référentiel de la gauche classique. Et de manière plutôt « libérale » au sens très large du terme. En ce sens…

  4. Bonsoir Michel, Bonsoir Anankè,
    La parole de Macron tranche en effet sur les rengaines obsolètes de la gauche frondeuse, mais sa parole va-t-elle si loin que ça ? Guère plus loin que ce que dit Valls, en fait. Si un réel désir de déstructuration de la gauche existait, il me semble que les paroles seraient plus affirmées, et surtout plus suivies d’effets. Il n’en est rien. Ca commence toujours par de grandes envolées, ça finit en lignes d’autocars. Comme dit Anankè ci-dessus, la loi Macron est loin d’être au niveau. Je crains en plus, qu’à force d’avoir été présentée comme une libéralisation de l’économie, elle ait fini par épuiser les capacités des Français à accepter des réformes qui le seraient vraiment.
    Ce qui devient évident, par contre, et vous en parliez vous-même ce matin, Michel, je crois, c’est que les Français (à 69% – sondage Odoxa Le Parisien) commencent vraiment à prendre ce gouvernement pour une belle brochette d’incapables. Feront-ils le pas jusqu’à juger que les politiques menées sont ineptes ? Et à supposer qu’ils le fassent, accepteront-ils d’entendre que les politiques à mener relèvent d’une vision libérale de la politique et de l’économie ?

    Anecdote :
    On discute à plusieurs de nombreux sujets économiques actuels, mais sans qu’une seule fois le mot « libéralisme » ne soit prononcé. Tout le monde est d’accord pour dire que ce qui est fait ne va pas et qu’il faudrait faire comme-ci et comme-ça (dérigidification du marché du travail, moins de subventions, réforme territoriale autre avec suppression d’un étage etc…).
    Jusque là tout va bien. Mais au moment où l’on dit : « En fait, ce que vous préconisez, c’est une politique libérale », au lieu de s’exclamer content « Ah oui, mais c’est bien sûr ! », l’interlocuteur concerné se récrie fortement : « Ah mais non, faut rester humain, … » etc…
    Le mot a un effet incroyable et il est complètement sorti de son champ sémantique qui est pourtant celui de la liberté.

  5. Sur les fonctionnaires, comme sur les 35 heures: il n’est pas pensable que les propos de Macron n’aient pas été « pointés » préalablement par Hollande et Valls, ce dernier ayant dés sa nomination, annoncé clairement la couleur sur les cacophonies du régime précédent (Ayrault).
    Donc ils savaient tous les 2 qu’il allait en parler…
    Donc c’est probablement eux qui lui ont demandé d’en parler !
    Pourquoi ? parce que Hollande n’ayant plus de cartouche à offrir à son électorat, n’a rien trouvé de mieux que d’inventer de fausses polémiques pour mieux s’approprier leur démenti et du coup, réabonner gratuitement son électorat naturel (les fonctionnaires).
    Coté finances Hollande invente des « tendanciels » fictifs pour annoncer ensuite qu’il aura été bon car capable de faire moins que ceux-ci… Coté réformes il invente de fausses mauvaises nouvelles et les dément ensuite pour récolter à son profit le fruit du soulagement.
    Hollande, grand musicien qui fabrique des voix (électorales) sur du vent.

  6. Absolument déroutant de constater l’incompétence de nos dirigeants depuis mai 2012. On s’aperçoit qu’ils gouvernent au hasard, ignorant totalement les besoins impératifs et les tracas du peuple. Alors qu’une obligation logique et majeure d’économiser s’impose, nos gouvernants tombent sur les Français en les assainissant de nouvelles taxes diverses par ci, par là, plutôt que réformer en profondeur le système politique (depuis les communautés de communes, il ne devrait plus y avoir de maires, d’adjoints etc…et désormais les mêmes communautés de communes nomment à tour de bras des adjoints augmentant ainsi et en plus les taxes foncières et locales). Le social à tout va, la politique d’immigration scandaleuse, le gaspillage dans tous les domaines sans parler de la corruption qui nous gangrène chaque jour un peu plus, la délinquance et la fraude. Toute personne quelque soit son rang et son statut social devrait être, en cas de fraude, de corruption, d’acte délictueux ou de gaspillage avérés, sanctionnée et se trouver dans l’obligation de rembourser la personne morale ou physique quelle a lésée. Il est évident que, compte tenu de la moralité inexistante dont font l’objet nos élus dans leur plus grande majorité, ce type de règles ne verra jamais le jour. Comme je le démontre, dans ce cas de figure, nous pourrions économiser des milliards par an, sans pour autant nous amputer de notre pouvoir d’achat et tout en redonnant de l’espoir au peuple. Si l’on veut éviter le pire, il faut changer les mentalités et prendre des mesures radicales tout en remettant de l’ordre et en montrant l’exemple et très rapidement car nous sommes à l’aube d’une catastrophe et ce n’est pas un euphémisme.

Laisser un commentaire