Préjugé politique français N° 2 : Les socialistes sont des gentils qui vont tout arranger

Si les libéraux sont des méchants et des escrocs (voir à ce sujet mon précédent article sur le Préjugé politique français N° 1), les socialistes, qu’on trouve principalement à gauche mais qu’on peut également trouver à droite de l’hémicycle, sont des gentils qui arrangent toujours tout. De leur point de vue, ce n’est certainement ni un préjugé ni une illusion, lyrique ou pas, c’est un pilier inébranlable de la politique française, c’est la mélodie du bonheur permanente, quoi qu’ils fassent et quoi qu’il arrive. On en a des preuves flagrantes tous les jours. 

A titre d’exemples, passons en revue quatre éléments marquants de l’actualité politico-économique de l’été 2015 qui s’achève : les manifestations des éleveurs, l’encadrement des loyers renforcé à Paris, la croissance nulle du second trimestre 2015, et enfin la démission de François Rebsamen, ministre du travail et de l’emploi :

1) Qu’ils soient producteurs de viande ou de lait, les éleveurs français sont descendus dans la rue, non sans fracas, au mois de juillet pour protester contre les prix trop bas de leurs produits qui ne leur permettent pas de rentabiliser leurs exploitations.

À quelques exceptions près, l’ensemble de l’agriculture française est en crise depuis de nombreuses années et les raisons en sont bien connues : la Politique agricole commune (ou PAC) mise en place au niveau européen à un moment où il importait de produire afin de sécuriser les approvisionnements alimentaires, et dont la France est la première bénéficiaire, est en fait un système dirigiste qui n’a plus de sens dans le contexte actuel. D’un côté, les exploitations reçoivent des subventions qui représentent aujourd’hui plus de 30 % de leurs recettes et de l’autre, elles croulent sous les contrôles, les réglementations et les exigences écologiques. Il en résulte un marché complètement faussé qui génère des fonctionnaires pour distribuer et contrôler les aides et des surplus agricoles que l’UE rechigne de plus en plus à racheter. La seule solution viable pour sortir de l’impasse : libéraliser l’agriculture.

Mais les socialistes, tout comme leurs prédécesseurs de droite au Ministère de l’agriculture, sont des gentils et ont tout arrangé. Plutôt que d’enclencher une réforme vertueuse de notre agriculture, ils préfèrent appliquer avec la générosité qui les caractérise le traitement social qui calme le jeu à court terme, en attendant la prochaine crise : c’est donc 600 millions d’euros que la filière agricole recevra en récompense de ses déprédations. Cet exemple n’est pas sans rappeler le cas des taxis.

2) Pétri des mêmes bons sentiments, le gouvernement a décidé de prendre les malheureux locataires parisiens exploités par des propriétaires avides sous son aile protectrice. A Paris, l’encadrement des loyers est donc renforcé depuis le 1er août.

Or le problème du logement réside moins dans ses prix que dans la rareté et la qualité des biens disponibles. Face à un tel contrôle des prix, dont on ne sait pas vraiment comment il sera réalisé, les propriétaires risquent de se retirer du marché ou de renoncer à améliorer leurs propriétés locatives, renforçant ainsi les pénuries existantes. L’apparition d’un marché libre parallèle afin de sortir des contraintes de la loi n’est pas non plus exclu.

Dans tous les cas, rien ne sera réglé et le problème du manque de logements sera aggravé. Mais peu importe, les socialistes, et leurs comparses de EELV, sont des gentils qui arrangent toujours tout, les loyers à Paris sont donc fermement encadrés et les français sont 8 sur 10 à trouver ça très bien, pour l’instant.

Les Echos:Eurostat Croissance UE 2ème T 20153) Les chiffres ont été publiés par l’INSEE le 14 août : la croissance de l’économie française au second trimestre 2015 a été nulle alors que le gouvernement attendait 0,3 %, après les 0,7 % constatés au premier trimestre.

Au niveau de la zone euro, la croissance du 2ème trimestre se situe à 0,3 % alors qu’on attendait 0,4 %, Mais, à l’exception de la Finlande, la France est néanmoins le seul pays à stagner, tous les autres enregistrant une progression, comme le montre le schéma ci-dessus publié par Les Echos d’après les chiffres d’Eurostat.

En tout autre lieu que le champ politique, n’importe qui doué d’un peu de sens logique et de conscience professionnelle s’alarmerait d’un résultat aussi peu satisfaisant, et s’interrogerait sur le bien-fondé des politiques en vigueur. Mais rappelons-nous, les socialistes sont des gentils et ils arrangent tout.

Dans le cas présent, les arrangements avec la réalité sont purement et simplement hallucinants. Pour Manuel Valls, « l’hypothèse du gouvernement d’une croissance de 1% pour l’année 2015 est confortée » (confortée ! Il fallait oser) et « ces chiffres encouragent à garder le cap. » Pour Michel Sapin, « une croissance nulle conforte nos objectifs en matière de croissance » et « la politique économique porte ses fruits. »

On ne saisirait pas toute l’ironie de la situation présente si l’on ne se rappelait qu’entre François Hollande et la croissance, vue comme la potion magique de la réussite économique, il y a une longue histoire de « je t’aime, moi non plus. » Selon les dires du Président de la République, la reprise était là en juillet 2013 puis en juillet 2014 puis en mars 2015. Et maintenant elle n’est plus vraiment là, mais peu importe, surtout ne changeons rien et faisons toutes sortes de promesses loufoques (qui n’engagent que ceux qui les croient, vive feu Pasqua !) sans rapport avec la morose réalité :

4) L’histoire de la courbe du chômage est du même acabit. Mois après mois, la courbe ne veut pas se retourner, le chômage ne veut pas plier.

C’est finalement François Rebsamen, ministre du travail et de l’emploi, qui a fini par plier bagages pour échapper à la malédiction de l’emploi et retrouver les plaisirs faciles des présidences territoriales, en l’occurrence la mairie de Dijon. Le 19 août dernier, il a remis sa démission au chef du gouvernement et curieusement son successeur s’annonce difficile à trouver.

Les résultats sur le front du chômage sont, comme chacun sait, éblouissants : la quasi-stabilité observée en juin résulte d’un transfert « méthodologique » de chômeurs des catégorie A, B et C vers les catégories D et E. François Rebsamen quitte donc son ministère « avec le sentiment d’avoir fait (son) travail et avec l’estime des partenaires sociaux. » Encore un gentil socialiste qui a tout arrangé.

Résumons : entre les promesses, toujours mirobolantes et si gentilles, et les réalisations, toujours décevantes en dépit de tous les arrangements, le grand écart est permanent. Les chiffres, les faits, les constatations, les courbes et tout ce que vous voudrez d’attestations de résultats sont là pour le crier haut et fort. Dès lors, question, pas forcément sans réponse : pourquoi la nullité avérée des résultats ne parvient-elle jamais à entamer le capital de sympathie dont jouit le socialisme en France ? Pourquoi, comme je le signalais dans l’article précédent, est-il toujours tellement plus séduisant d’avoir tort avec Sartre plutôt que raison avec Aron ?

Tout d’abord, les socialistes sont de fameux commerciaux, comme ces vendeurs qui oeuvrent sans relâche à conclure une vente en disant toujours aux clientes à quel point telle robe leur va bien, telle coiffure est particulièrement seyante, et comment leur goût est parfait. C’est le côté racolage faussement admiratif qui emballe à coup sûr tous ceux qui sont trop heureux d’entendre ce qu’ils ont envie d’entendre, même si la robe est affreuse et boudine la cliente (cas de la loi sur l’encadrement des loyers, par exemple).

Ensuite, les socialistes se baladent en permanence la main sur le coeur et leur discours est truffé jusqu’à la nausée de leurs valeurs humaines indépassables. Comme le dit Jean-François Revel, que je cite plus bas, ils ont une très haute idée de leur moralité, et ils ne reculent devant aucune hyperbole pour le faire savoir. Par exemple, Najat Vallaud-Belkacem a « toujours considéré que la gauche combattait les inégalités, alors que la droite en théorisait la nécessité. » (Une des perles emblématiques des bontés socialistes complaisamment enfilées par NVB dans sa grande interview à GQ France de Juin 2015, que j’ai déjà eu l’occasion de citer). Moralité, encadrons les loyers.

L’encadrement des loyers se passe mal, car au bout de quelques mois les biens à louer se raréfient. Mais il est impensable de faire un bilan de la mesure qui, par nature, est excellente et ne doit se mesurer qu’à l’aune des bonnes intentions indiscutables de ses promoteurs. On préférera de loin incriminer les propriétaires qui « ne jouent pas le jeu. »

Capture d'écran question sociale Photo retouchéeEt nous arrivons à la botte pas vraiment secrète, mais imparable, des socialistes : le procès d’intention instruit systématiquement à charge contre les opposants. Se donner toujours raison eu égard à la supériorité morale de ses intentions ne saurait suffire au socialisme. Il convient par précaution de terrasser l’adversaire qu’on renverra sans ménagement à la noirceur, tout aussi indiscutable, de son âme. Voici un exemple typique que je n’ai pas été chercher bien loin (capture d’écran ci-contre) : Suite à un de mes articles intitulé « Chère NVB, le libéralisme s’intéresse aux questions sociales », un commentateur dont le socialisme semble orthodoxe au point d’en devenir caricatural, me livre cette puissante remarque : « Le libéralisme s’intéresse au social dans la limite de ses intérêts ! » Il va sans dire que selon cette personne, si le socialisme s’intéresse à la question sociale, c’est par total désintéressement et pure noblesse de coeur. Facile comme argument, quand on sait, depuis les révélations de François Hollande, que « c’est l’État qui paie. »

En vertu de toutes ces manœuvres, qui ne voudrait faire partie des gentils, surtout au frais des impôts des autres ? Et non seulement c’est l’État qui paie, mais en plus, c’est la télé, le journal, bref les médias qui le disent. Les récentes nominations à l’AFP, qui font la part belle à des énarques issus du PS et proches des membres du gouvernement, ne sont pas pour lever le doute sur la collusion de plus en plus étroite entre pouvoir et médias. La promotion Voltaire de l’ENA, celle de François Hollande, est particulièrement bien soignée et elle garnit habilement les rangs les plus gradés de France Télévisions, par exemple.

En réalité, la martingale des socialistes qui consiste à toujours tout nimber d’une posture morale, est une tragique erreur (ou une tragique tromperie) qui n’apporte rien au bien commun, ainsi qu’en témoignent les mauvais résultats de la politique économique française. Comme l’écrivait Montesquieu dans L’Esprit des Lois (1748), « il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers. »

Le commentaire que j’ai rapporté ci-dessus est donc non seulement marqué du dédain supérieur des belles âmes pour tout ce qui ressemblerait à une motivation pécuniaire ou autre, il passe surtout complètement à côté de la question de fond qui concerne les avantages concrets de l’ordre spontané et du marché par rapport à l’ordre strictement organisé (et clientélisé), et illustre à merveille la maxime de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » 

Citation JF RevelOn se rappellera que les libéraux sont des méchants. Je n’échappe pas à la règle et je conclus :  l’ami qui me donnait la réplique sur le libéralisme avec tant de dégoût dans la Première scène de l’article précédent en est venu à me raconter quelques instants plus tard dans la conversation une histoire magnifiquement représentative de la mentalité du camp du bien. Son fils ayant bêtement égaré son passeport à la veille de vacances à l’étranger, il trouva immédiatement la solution miracle : il « fit appeler au cabinet d’Anne Hidalgo », et le nouveau passeport fut délivré en deux temps trois mouvements, alors que le délai moyen en plein mois de juillet à Paris est de deux à trois semaines, voire beaucoup plus selon les préfectures.

Elle est gentille, Anne Hidalgo, c’est une bonne copine, elle a tout arrangé pour son ami. Eh oui, tout se passe bien comme le disait Jean-François Revel :

« En France, les socialistes ont une si haute idée de leur moralité qu’on croirait presque qu’ils rendent la corruption honnête en s’y livrant. »


La mélodie du bonheurIllustration de couverture : Photo extraite du film La Mélodie du Bonheur de Robert Wise avec Julie Andrews et Christopher Plummer – Twentieth Century Fox.

3 réflexions sur “Préjugé politique français N° 2 : Les socialistes sont des gentils qui vont tout arranger

  1. Très bon article, merci Nathalie. Pas aussi convaincant que le N°1 toutefois. Les 4 exemples sont parlants, mais je pense qu’on peut aller plus loin dans l’analyse.

    Par exemple le fond de l’idéologie socialiste c’est le partage, la mise en commun des biens et des moyens. Les notions de service public et d’intérêt général sont très séduisantes. La protection des plus faibles par la communauté aussi. Ces nobles intentions se retrouvent d’ailleurs dans le christianisme (le vrai…) Il est très difficile de lutter contre des gens qui se drapent dans de telles « valeurs ». Si on est contre eux c’est forcément qu’on est égoïste, individualiste, et tout ça (comme parfaitement décrit dans le précédent article). L’URSS à sa grande époque avait parfaitement théorisé la chose: le parti est au service du peuple, si vous êtes contre le parti alors vous êtes contre le peuple.

    Nous savons aujourd’hui après de multiples expériences que cela ne fonctionne pas. Mais les expériences ne suffisent pas car on peut toujours leur trouver des excuses. Il faut arriver à prouver que le socialisme ne peut pas fonctionner de par sa nature même. Et ce n’est pas facile à faire tout en suivant les principes du Christ!

    • Bonjour FM06 et merci pour vos commentaires chaleureux.
      J’ai appris qu’un seul contre-exemple ruinait une théorie. Si la démonstration par le contre-exemple ne marche pas, alors je ne vois pas ce qui pourrait marcher.
      Depuis Marx, il y a eu également de nombreuses critiques théoriques du socialisme, dont celles de Hayek sur le plan économique, de Gide sur le plan moral etc… Ca n’a pas l’air de marcher tellement non plus.
      A titre personnel, je pense que la « nature » délétère du socialisme réside : 1) en l’absence totale de considération pour l’individu au profit d’une masse indifférenciée, et ça ne pourra jamais en faire une doctrine compatible avec le christianisme, et 2) dans le fait que le socialisme veut changer les autres. Dans le christianisme, il n’est pas question de changer les autres, mais soi-même. Grosse différence.
      L’autre solution, c’est de proposer une alternative qui donne des résultats positifs. Là autre obstacle : on évacue rapidement les résultats pour remettre en question la pureté des intentions. On n’est pas face à une théorisation, on est face à une intimidation intellectuelle dont il est grand temps de sortir.
      Cordialement, Nathalie MP.

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