Le poulailler du bar éphémère, et autres contes de Boboland Paris

Sommaire
Les siestes électroniques du musée
Le poulailler du bar éphémère
Le potager partagé des Oiseaux

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Je m’en voudrais de taxer la modernité triomphante de radotage, mais il faut bien admettre qu’il est des mots et des concepts auxquels il devient de plus en plus difficile d’échapper. Essayez de visiter la moindre exposition artistique sans qu’il soit question « d’explorer un univers de rupture » à travers « une approche inédite » qui nous invite à « repenser notre rapport au temps et à l’espace ». Essayez d’assister au moindre festival théâtral sans que ce soit « jubilatoire »« revisité » ou « décalé ». Essayez de participer au moindre événement sans que ce soit une manière « ludique, festive et éphémère » de « vivre autrement ». Essayez de lire la moindre affiche ou le moindre prospectus municipal sans être interpelé sur votre degré d’écologitude. 

Lille 3000Tout cela est terriblement vrai à Lille où nous allons prochainement nous enorgueillir de présenter au reste du monde, du moins le croit-on, le chic ultime en matière de culture, workshops et performances avec la nouvelle saison de Lille 3000 intitulée Renaissanceque le journal Le Monde lui-même qualifie de « grand rendez-vous artistique et festif. »

Après la traditionnelle Braderie de Lille des 5 et 6 septembre 2015, où la bière coulera à flots, place à l’esprit du progrès et du renouveau convoqué par Lille 3000 du 25 septembre au 17 janvier 2016. On peut être certain que la branchitude y coulera avec la vitalité des chutes d’Iguaçu et du Niagara réunies. Même la digne et délicieuse pâtisserie Meert (depuis 1761) a créé ses gaufres Ephemeert !

D’après mes antennes parisiennes, tout cela semble aussi terriblement vrai de notre capitale, infatigable adepte de Paris Plages et autres Dîners en Blanc, animée d’une passion obsessionnelle pour l’art contemporain jusqu’à tomber dans la bouffonnerie prétentieuse et grotesque du sapin de Noël gonflable installé cet hiver place Vendôme et qui fait irrésistiblement penser à tout autre chose.

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Si l’on en croit la description tentée par Jean-Laurent Cassely dans son livre Paris, manuel de survie, le parisien n’existe que par un « recours quasi névrotique à la nouveauté. » Sa conclusion est cruelle : Paris « est une ville hyper conformiste, qui n’est jamais aussi conformiste que lorsqu’elle se veut alternative. » Le sapin de la place Vendôme, qui n’existait pas quand il a écrit son livre, en est la preuve éclatante : l’alternatif a parfois une fâcheuse tendance à tomber dans le piège du conformisme tendu par l’urinoir de Marcel Duchamp.

Mais il arrive aussi parfois qu’au détour d’une crise de boboïtude aigüe, le génie parisien débouche sur des situations véritablement distrayantes, qu’elles soient hautement loufoques, d’un avant-gardisme volontairement convenu ou franchement charmantes. Petit tour de trois d’entre elles par ordre croissant de séduction et décroissant d’originalité sur-dosée.

Les siestes électroniques du Musée du Quai Branly

Elever l’art de la sieste au rang d’art premier n’est pas pour me déplaire. L’associer à l’écoute de musiques plus ou moins agréables à l’oreille me laisse plus dubitative. L’idée originale de ces siestes est née à Toulouse autour de la musique électronique. Le partenariat avec le Musée du Quai Branly permet d’enrichir le fond sonore de la manifestation par l’accès à la collection « ethno-musicologique » du Musée qui comprend des milliers d’enregistrements de musiques « émergentes » des quatre coins du monde : chants d’enfants, mélopées diverses, musiques de pêcheurs etc…

On s’installe donc dans une position vaguement relaxe dans l’amphithéâtre situé dans les jardins du musée et on se laisse aller au son de … De quoi au juste ? Voici l’exemple que mes antennes parisiennes ont enregistré pour moi dimanche dernier. Il s’agit de « Ivresse amoureuse en Inde » de Stephen O’Malley dont la transcription sonore ne laisse pas d’étonner (10″) :

Comment dire ? On a furieusement envie de rire. Mais ce serait une très mauvaise idée. Ici, tout est merveilleusement recueilli et apaisé. Les spectateurs arborent une mine encore plus ecclésiale que des catholiques regagnant leur siège après la communion. Il faut dire que ce programme est le « fruit d’une triple réflexion autour des thèmes de la diversité culturelle, du nomadisme et de la lenteur. » Lenteur, torpeur, sieste, c’est sans nul doute la suite logique qui m’échappait.

Mais je suis trop dure. Voici une vidéo extraite du site du musée qui donne très certainement une idée un peu plus variée de l’événement que mon enregistrement brut de dix secondes (1′ 40″) :

Le poulailler du bar éphémère

Nous atteignons ici à la quintessence du Bobo Lifestyle. Ground Control, « bar éphémère libre et curieux », s’installe depuis deux étés en un lieu technique désaffecté d’allure peu engageante. Cette année, le choix s’est porté sur les rails qui longent un ancien atelier de réparation de locomotives de la SNCF, quelque part entre les stations de métro Marcadet et Marx Dormoy. 

Ground Control

La panoplie complète de l’univers bobo nous attend.

En plus du lieu qui veut rappeler (dans un style nettement plus familial) le Berlin underground de l’époque de « Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée », en plus de la « prog » musicale et des nombreux bars, Ground Control est « un lieu de vie » qui propose des activités typiquement bobos : chaises-longues en terrasse le long des voies ferrées, ateliers tricot, bracelets brésiliens ou yoga, salle de ping-pong, échoppe de barbier, trattoria et nombreux autres stands de street food. Et pour les adeptes de la « night », des soirées qui n’en finissent plus. Le must est incontestablement le poulailler, caution écolo indispensable qui plait beaucoup aux mamans et aux enfants. 

Poulailler Bar Ephemere 1

Hélas, hélas, comme c’est bobo, c’est cher, et ce n’est pas vraiment discret. Les riverains du quartier ont immédiatement identifié l’endroit « comme une verrue bobo » et il a fallu « gérer le bad buzz et les premières pétitions anti-Ground Control » expliquent les dirigeants. Mais qu’à cela ne tienne, ils ont le projet de « métisser les publics » et « d’organiser une soirée spéciale pour les voisins du quartier. » C’est un « lieu de vie », n’est-ce pas ?

Le jardin partagé du potager des Oiseaux

Potager des OiseauxComme le poulailler installé sur les rails du bar éphémère, le potager partagé des Oiseaux donne aux habitants du quartier l’illusion agréable qu’il est possible de vivre en plein coeur d’une grande métropole comme si l’on habitait à la campagne. Le syndrome Marie-Antoinette, son hameau et ses moutons, en quelque sorte.

C’est d’autant plus curieux que les alertes à la pollution sont nombreuses à Paris et que tout est fait par ailleurs pour lutter contre les attaques constantes et virulentes des particules fines et des corpuscules assimilés. C’est d’autant plus curieux que, pour leur part, des chefs cuisiniers parisiens ont entrepris de cultiver leurs propres fruits et légumes, non pas au sol, trop exposé à la pollution urbaine selon eux, mais sur les toits élevés de la capitale. Y aurait-il un léger déficit logique à Boboland Paris ? Ou bien faut-il comprendre que le plaisir de cultiver soi-même dépasse de loin les horreurs de la pollution urbaine ?

Plan de culture du potager des oiseauxPlanté dans un espace plutôt réduit de 120 m2 à proximité immédiate du Marché des Enfants rouges situé rue de Bretagne dans le 3ème arrondissement, il ne déroge pas aux codes bien balisés de l’esprit bobo combiné aux exigences du « vivrensemble » : expositions, concerts, installations artistiques, ateliers créatifs, goûters musicaux, sont autant de prétextes à « faire se rencontrer les habitants et les visiteurs du potager. »

Mais ce potager de ville est aussi et surtout un adorable jardin organisé en trente parcelles de 1 m2 chacune (voir plan ci-dessus), qui ne sont pas sans rappeler, à une échelle lilliputienne bien sûre, les agencements géométriques des potagers du Château de Villandry, le charme légèrement fouillis du fait-maison en plus (voir photo ci-dessus). C’est une découverte aussi plaisante qu’inattendue que d’arriver jusque-là.

J’avoue que j’aime assez me promener dans Paris avec l’esprit complètement dégagé de la touriste sans engagement, prête à s’amuser et à s’émerveiller de tout. Je crois que ce côté « Boboland Paris » que je me plais ici à railler est en fait un fleuron supplémentaire du tourisme parisien. Souvent pénible quand il est question de culture, tant il affiche supériorité et auto-satisfaction avec dédain, il devient très intéressant dès lors qu’on y voit surtout une facette multicolore des divertissements proposés par le Tout Paris touristique. Et de ce point de vue, on n’ose imaginer toutes les améliorations qu’on pourrait lui apporter.

Le parisien branché vous dira que la bobo-attitude, c’est avant tout un style de vie décontracté et proche de la nature qui permet de supporter avec panache les contraintes d’une vie ultra-citadine. C’est tout à fait ça : le Parisien (et aussi le Lillois, le Lyonnais etc..) devient vacancier dans sa ville, et on peut le comprendre.

Pour finir en s’amusant encore un peu, voici la vidéo des Inconnus qui se moque avec brio et vraisemblance de certains peintres contemporains mis à la mode par Jack Lang, ancien ministre français de la culture (4′ 31″) :


Adresses

Les siestes électroniques :
Musée du Quai Branly – 37, quai Branly – 75007 Paris – Tél. : 01 56 61 70 00.
Le Festival  a lieu les dimanches 5, 12, 19, 26 juillet et 2 août 2015, de 16 à 18h.
Le Poulailler de Ground Control :
26 ter Rue Ordener, 75018 Paris.Tél. : 01 48 24 25 97.
Du jeudi au dimanche de 11h à minuit jusqu’au 15 octobre.
Le Potager des Oiseaux :
2-4 Rue des Oiseaux, 75003 Paris.
Ouvert samedi et dimanche de 11h à 13h et quand un jardinier travaille.


Paris Plage 2015Illustration de couverture : Les berges de la Seine aménagées pour Paris Plages (du 20 juillet au 16 août 2015, jusqu’au 23 août pour le Bassin de la Villette) – Photo AFP.

3 réflexions sur “Le poulailler du bar éphémère, et autres contes de Boboland Paris

    • Bonjour Monsieur,
      Merci pour ce lien passionnant dont je viens seulement d’achever la lecture.
      Je le remets ici :
      http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/2015/05/28/merde-a-duchamp/
      J’hésite encore sur les intentions profondes de Duchamp (en tout cas pas l’esthétisme, selon ses propres déclarations) mais on peut dire que cent ans après (vous parlez d’un modernisme !) il réussit encore à pétrifier tout le monde, artistes, acheteurs à la Pinault, acheteurs d’Etat qui gaspillent l’argent des contribuables, dans un superbe « riendutoutisme ».
      L’art n’est peut-être pas complètement perdu puisqu’il existe des critiques moins dupés que d’autres, comme en témoigne ce texte, et également des spectateurs qui savent replacer toutes ces oeuvres au rang de la blague potache qu’elles n’auraient jamais dû quitter.
      Au passage, je suis contente de lire que l’auteur se demande pourquoi la Joconde a atteint le piédestal où elle est, car je me le suis toujours demandé aussi.
      Bon dimanche à vous.

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