POPérisons la France au lieu de la paupériser dans l’Etat providence

Mise à jour du mercredi 27 janvier 2016 : La journée d’hier a été marquée en France par de nombreux mouvements de grève dans plusieurs secteurs d’activité, notamment l’Education nationale, les contrôleurs aériens et surtout les taxis qui protestent à nouveau contre la concurrence des VTC, à nouveau avec une violence inacceptable (vidéo).

Mise à jour du vendredi 3 juillet 2015 15 h : Après avoir passer une nuit en garde-à-vue, le Directeur général d’Uber France annonce la suspension du service UberPop en France à partir de ce vendredi 3 juillet à 20 heures afin de préserver la sécurité des chauffeurs et dans « un esprit d’apaisement » avec les pouvoirs publics. Pour Manuel Valls, premier ministre, c’est le signe que la fermeté a payé. Pour moi, c’est le signe que la bêtise et l’irresponsabilité du gouvernement sont infinies. Il est vrai qu’Uber a l’audace de donner du travail à des gens qui n’en ont pas ou peu et qu’il parvient en plus à favoriser l’intégration de chauffeurs d’origine algérienne ou marocaine mieux que toutes les niaiseries bienpensantes du gouvernement n’y arriveront jamais. Un tel succès ne peut exister. 


          C’est l’éternelle question que je me pose depuis le début du quinquennat : François Hollande est-il totalement cynique ou seulement incompétent ? Il attend son retournement structurel, il nous l’annonce régulièrement, sans véritable résultat tangible et chaque jour qui passe nous confirme dans l’impression que notre gouvernement ne sait ni ce qu’il fait ni où il va. La meilleure preuve vient de nous être donnée en l’espace de deux semaines. 

Le 16 juin, Manuel Valls recourait au 49.3 pour faire passer sans vote la loi Macron, donnant à croire que rien n’est plus important qu’une amorce de libéralisation de l’économie. Or hier matin, en toute incohérence, François Hollande annonçait que le service de transport de personnes UberPOP, symbole des activités nouvelles liées aux développements d’internet, des smartphones et des réseaux sociaux, devait être « dissous et déclaré illégal », donnant au passage raison à la violence inouïe des chauffeurs de taxis « en colère ».

Ce n’est pas tout : les chiffres du chômage à fin mai 2015 rendus publics cette semaine enregistrent un nouveau record à la hausse. Et ce n’est toujours pas tout : Christiane Taubira, Garde des Sceaux, c’est-à-dire membre éminent du gouvernement, a fait le rêve d’une société où l’on travaille 32 heures par semaine. Manuel Valls s’est désolidarisé de ses déclarations, mais cela donne malgré tout une idée des débats qui animent la gauche au pouvoir.

Le travail comme la libre entreprise et les possibilités ouvertes par l’économie numérique semblent perpétuellement remis en cause par un gouvernement qui par ailleurs affiche le souhait de retourner la courbe du chômage, favoriser les entrepreneurs et encourager le développement de start-ups innovantes. Est-ce compatible ?

Les chauffeurs de taxis, confortablement installés dans un monopole protecteur qui limite l’accès à la profession par un numerus clausus et de multiples obligations légales, ont bénéficié de la loi Thévenoud, même amendée par le Conseil constitutionnel, qui maintient leurs privilèges face aux services des VTC (Voitures de transport avec chauffeurs) dont les chauffeurs sont considérés comme des professionnels. Si un effort est fait afin de mettre progressivement un terme à la revente à prix d’or des licences obtenues gratuitement en préfecture, le coeur de la nouvelle économie numérique est incontestablement atteint : la loi ne permet pas à l’application Uber de donner simultanément au client l’information sur la géolocalisation et la disponibilité des véhicules.

Le nouveau service UberPOP, par lequel des particuliers (avec casier judiciaire vierge et assurés en responsabilité civile) proposent leurs services à titre onéreux via l’application Uber, n’est pas autorisé par la loi Thévenoud. La position d’Uber consiste à dire qu’en n’incluant pas UberPOP, la loi Thévenoud ne respecte pas la liberté d’entreprendre. En dépit de plusieurs arrêtés préfectoraux (Paris, Nord …) confirmant son interdiction, en dépit de saisies effectuées par la police, le service est cependant en activité dans l’attente de décisions judiciaires.

Uber 3Le fait est qu’UberX (VTC) comme UberPOP (particuliers) sont deux services particulièrement souples à utiliser, comparativement aux taxis, jugés par de multiples clients comme trop peu nombreux, trop peu serviables et parfois exagérément chers, ainsi que les réseaux sociaux s’en sont largement fait l’écho ces derniers jours.

Parmi les avantages, citons la grande simplicité et la gratuité de l’application, la possibilité d’avoir un chauffeur à tout moment, à tout endroit (dans les zones desservies), le pré-enregistrement de la carte de crédit qui n’oblige pas à avoir du liquide sur soi, la possibilité de noter les chauffeurs ce qui les pousse à offrir le meilleur service possible, et enfin le tarif particulièrement bas, surtout pour UberPOP. Désormais, les parents n’ont plus à se lever à deux heures du matin pour aller chercher leur fille adolescente après une soirée à l’autre bout de la ville. Elle revient saine et sauve à la maison pour 5 euros.

Les taxis ont donc bel et bien du souci à se faire. Ils ont deux solutions : la journée d’action avec violence et sans remise en question qui va faire plier le gouvernement pour confirmer leur monopole sur les VTC et l’interdiction d’UberPOP, ou le passage en douceur au nouveau modèle économique qui fait plus que se dessiner. Ils ont choisi la première et François Hollande ne les a pas déçus :

Peine perdue, à mon avis, car comme le dit le blogueur H16 dans un récit de la journée de grève des taxis « aucune loi ne pourra interdire aux Français d’accueillir des passagers dans leur voiture. » Peine perdue, car l’esprit Uber a gagné les Français qui savent ou devinent que tout cela ne fait que commencer, comme en témoigne cette Lettre à Uber de la blogueuse Mademoiselle Julie.

Peine perdue, mais à quel horizon ? Les réticences sont énormes, y compris du côté des dirigeants politiques et des médias qui sont nombreux à dénoncer l’ubérisation de l’économie comme la pente certaine vers la paupérisation. Si la plupart voient que « le modèle français dans son écrin capitonné se lézarde » (Yves Dusart, Est républicain), nombreux sont ceux qui partage les vues de Jean-Marcel Bouguereau (La République des Pyrénées) pour qui « l’uberisation de l’économie est un modèle de développement sans foi ni loi » ou de Bruno Le Roux, Président du groupe PS à l’Assemblée nationale : « Ce qu’ils font, c’est de l’activité illégale, du dumping social, du dumping salarial, c’est tout ce que nous refusons dans notre pays. »

C’est là qu’on a envie de reparler des chiffres du chômage. On connaît en ce domaine les performances de mai 2015 depuis cette semaine, et une fois de plus il n’y a pas lieu d’être optimiste. La montée inexorable du nombre de demandeurs d’emploi se poursuit mois après mois en dépit de tous les frémissements et tous les retournements annoncés. Les chômeurs de catégorie A sont maintenant au nombre de 3 552 200 en France métropolitaine, soit 16 200 de plus en mai. Si l’on ajoute les catégories B et C, on atteint 5 414 200. En ajoutant les catégories D et E ainsi que l’outre-mer, on dépasse nettement les six millions de chômeurs.

Voila des chiffres de chômage élevés qui correspondent à une économie dont de nombreux secteurs sont protégés et dont les acteurs bénéficient d’une couverture sociale extrêmement large. Est-ce à dire que l’activité économique n’est pas assez encadrée et qu’il faudrait en remettre une couche du côté de l’Etat providence, comme on le fait depuis 1945 ? Ou est-ce à dire au contraire qu’il faut changer complètement d’optique en favorisant le travail et la liberté d’entreprendre ? C’est précisément l’existence de cet Etat providence coûteux mais douillet qui masque la réalité de la dégradation de notre situation économique et qui freine toute remise en cause de notre système. Je ne suis pas du tout certaine que limiter l’accès au travail en interdisant à de nouvelles activités de se développer selon leurs propres codes soit de nature à faire baisser le chômage.

Dans le cas spécifique des taxis, le problème du prix de la licence doit certes être traité afin d’assainir une bonne fois le marché du transport de personnes et permettre à toutes les entreprises de repartir du bon pied. Mais notons que ce problème n’existe que du fait de la réglementation et du numérus clausus. L’Etat aurait laissé ces entreprises se développer par elles-mêmes, moyennant permis de conduire et règlement intérieur, on n’en serait pas là. Il faut bien se dire qu’aucune réglementation, aucune loi circonstancielle ou catégorielle n’est gravée dans le marbre.

C’est un peu ce qui est arrivé au Franc suisse en début d’année : la banque centrale suisse a décidé un jour de l’accrocher à l’Euro sur la base d’un cours fixe et artificiel de 1,20 Franc suisse pour un Euro (on appelait cela le « peg »). S’avisant que maintenir ce cours lui coûtait trop cher, elle a décidé de supprimer le peg afin de revenir à la vérité des prix, qui est à peu près de un Franc suisse pour un Euro. Il y a eu de lourdes pertes au passage, mais le marché est maintenant sain et les opérateurs peuvent se fier au prix de marché et faire des projets qui ne seront pas remis en cause par des changements discrétionnaires de prix et de règle du jeu.

Dans l’esprit des partisans d’une lourde régulation économique par l’Etat, tout se passe comme s’il existait un niveau « naturel » de réglementation, un niveau « naturel » de fiscalité, toujours élevé du reste. Or cela n’existe pas, cela ne fait que traduire un désir de contrôle, certainement pas un désir de justice sociale ou fiscale. Pourquoi les transports de personnes devraient-ils être soumis à des règles particulières visées par l’Etat au-delà de ce qu’une profession, soucieuse de garder ses clients et d’en obtenir de nouveaux, compte mettre en oeuvre pour se développer ? Pourquoi les transports de personnes ne pourraient-ils pas être libéralisés comme la loi Macron tente de le faire pour les professions notariales ou pour les lignes d’autocar ? Les arguments de la sécurité des passagers, tout comme ceux de la justice sociale et fiscale sont assez peu crédibles puisque les chauffeurs d’UberX et d’UberPOP, une fois dotés d’un permis de conduire identique à celui de toute mère de famille qui véhicule ses enfants et les amis de ses enfants, sont notés par les clients, et que les paiements passent intégralement par carte bancaire et sont donc parfaitement traçables et fiscalisables.

Le cas des taxis français montre clairement que les monopoles créés ou favorisés par l’Etat fabriquent des équilibres économiques artificiels offrant une protection trompeuse. Sans confrontation avec la concurrence, seule à même de provoquer des adaptations et des améliorations dans les services offerts, ils sont incapables de s’ajuster progressivement à l’arrivée des nouveaux acteurs propulsés par les nouvelles technologies numériques. Laisser ce système, considéré comme médiocre par la majorité des clients, perdurer plus longtemps, alors que le problème est connu depuis de nombreuses années, est en complète opposition avec le souhait de moderniser l’économie française et résorber son chômage. L’esprit du care tant plébiscité par Martine Aubry, s’est infiltré partout, mettant la protection sociale au-dessus du travail qui devrait être la première protection sociale.

Mais quels que soient les atermoiements du gouvernement sur la question, quelles que soient ses motivations pour protéger le monde d’hier, le monde d’Uber et de toutes les nouvelles entreprises dans son genre est en train de s’installer en France. Il triomphera des obstacles parce que les clients, les chauffeurs, les entrepreneurs, les Français en général y trouvent leur compte et savent au fond d’eux-mêmes que le mouvement est irréversible et porteur de prospérité.


Illustration de couverture : capture d’écran de l’application Uber.

4 réflexions sur “POPérisons la France au lieu de la paupériser dans l’Etat providence

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  2. ce qui est ironique c’est qu’il y a 30 ans, en URSS, tout le monde pouvait faire le taxi, il vous suffisait de lever le bras dans le rue, vous pouviez ainsi tomber sur un prof d’université qui faisait le taxi pour arrondir ses fins de mois parce que son revenu de base était trop faible. Aujourd’hui vous allez sur uberPOP et vous tombez sur un type qui aussi fait ça pour arrondir ses fins de mois parce que son revenu de base n’est pas suffisant. Et certains ont le culot d’appeler ça « le progrès ». Trop drôle.

  3. Uber c’est l’accès au marché du travail en souplesse, c’est un moyen pour tous de voir ce qu’est un marché du travail libre : exigeant, liquide, immédiat.
    Le passage par la case Uber deviendra un passage normal de la vie de travail, comme les stages en début de carrière et les licenciements à partir de 50 ans, pas forcément rigolo mais pas dramatiques non plus.

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