Contre la peine de mort

Mise à jour du mercredi 6 avril 2016 : Dans son rapport annuel sur la peine de mort publié aujourd’hui, Amnesty International fait deux constats :
1. Le nombre de pays abolitionnistes n’a jamais été aussi élevé, atteignant 102 depuis que la République du Congo, Fidji, Madagascar et Suriname ont aboli la peine de mort en droit cette année. Si on ajoute les pays qui l’ont abolie de fait, on arrive à 140 pays.
2. Par contre, le nombre d’exécutions n’a jamais été aussi élevé depuis 1989 : Au moins 1634 personnes ont été exécutées dans 25 pays, marquant une augmentation de 54 % sur 2014. L’Iran arrive largement en tête avec 977 exécutions dont des mineurs, puis le Pakistan avec 320 mises à mort, et enfin l’Arabie saoudite avec 158 exécutions (par décapitation surtout).
Selon Amnesty international, l’Iran présente des caractéristiques alarmantes  : Une fille peut être condamnée à mort à partir de 9 ans, contre 15 ans pour un garçon. Alors que le Président iranien Rohani se présente comme un réformateur modéré, un fondamentalisme de fond continue à faire planer le doute sur les objectifs véritables de ce pays.
Les chiffres sont des bornes inférieures, notamment en raison des exécutions capitales en Chine qui relèvent du secret d’Etat.


—–>      Cet article a également été publié le lundi 18 mai 2015 sur      icone_redacteur3

En dehors des situations de guerre, il existe toutes sortes de mises à mort décidées par une puissance étatique ou simili-étatique. L’actualité récente nous en fournit simultanément trois exemples qu’on pourrait qualifier de spectaculaires s’ils n’étaient tous horribles, chacun à leur façon, et confrontés les uns aux autres. 

Par situation de guerre, j’entends des opérations militaires décidées au niveau international, par exemple dans le cadre de l’ONU, dans le but de riposter à une attaque ou de venir en aide à tel ou tel gouvernement légitime attaqué de l’intérieur ou de l’extérieur de ses frontières par un autre Etat ou par des groupements terroristes. Il est bien évident que de tels combats armés peuvent provoquer des victimes civiles et militaires dans le cadre de leur programme d’offensive et de défense, et même parfois à l’opposé de ce programme, car les bavures ne sont pas rares, de l’Irak à l’Afghanistan en passant par le Mali. Mais ce n’est pas de cela que je souhaite parler, car on conçoit mal qu’un pays ne puisse se défendre en cas d’agression militaire. Tout comme le concept de légitime défense, même très encadré, existe pour les particuliers, il existe pour les particuliers constitués en nations.

Je pense aux mises à mort exécutées complètement en dehors de toute pression de légitime défense. Voici les trois exemples dont je parlais plus haut :

1. On a appris il y a quelques jours que le Président de la Corée du Nord, le dictateur Kim Jong-Un, avait fait abattre son ministre de la défense par un canon anti-aérien dans une académie militaire à proximité de Pyongyang. Motif : le ministre se serait endormi lors d’un défilé miliaire présidé par Kim Jong-Un, et aurait également échoué dans ses missions techniques et logistiques, en Russie notamment. Le fait d’être un proche du dictateur ne l’a pas protégé, mais témoigne peut-être d’une certaine fébrilité du régime. On se souvient qu’il y a environ dix-huit mois Kim Jong-Un avait fait exécuté son oncle pour trahison après une condamnation à mort prononcée par un tribunal militaire spécial. Le gouvernement nord-coréen a précisé que ces exécutions avaient été faites « pour l’exemple ».

2. Hier, vendredi 15 mai 2015, l’organisation terroriste Daesh, qui s’auto-proclame Etat islamique et dont j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer les motivations, les modes opératoires, les zones d’influence et les ressources financières, a exécuté 23 civils dont neuf enfants. Les victimes appartiennent à des familles dont certains membres travaillent pour le gouvernement syrien. Cette boucherie, qui n’est pas la première, loin de là, a eu lieu à proximité de la cité antique de Palmyre en Syrie. Très belle, mais construite en pierres parfaitement inertes et sans opinion politique, cette ville est malgré tout aussi en danger : Daesh ne supporte aucun vestige pré-islamique et les détruit autant qu’il lui est possible de le faire.

3. Et pour finir ma liste en beauté si j’ose dire, on apprenait hier également que l’auteur survivant de l’attentat d’avril 2013 à l’arrivée du marathon de Boston, le jeune tchétchène de 21 ans Djokhar Tsarnaev, a été condamné à mort à l’unanimité des douze membres du jury pour six chefs d’accusation sur les trente retenus contre lui. Bien que jugé par une cour fédérale dans l’Etat du Massachussets, où la peine de mort a été abolie en 1984, le procureur avait requis la peine capitale contre lui en raison du caractère particulièrement haineux de l’acte perpétré au milieu d’une foule constituée de milliers de participants et spectateurs. L’attentat avait fait trois morts dont un enfant de huit ans, et 264 blessés dont 17 personnes amputées.

Trois cas bien différents dans la forme. Le premier est le fait d’un Etat officiel dont le régime politique est une dictature héréditaire totalitaire d’obédience communiste. Le second relève des activités pour ainsi dire récurrentes d’une organisation terroriste totalitaire qui se voit comme un Etat, c’est pourquoi je parle de simili-Etat. Et le troisième est l’application d’une peine encore disponible dans certains Etats démocratiques occidentaux.

Trois cas bien différents quant à leurs systèmes judiciaires : seul l’attentat du marathon de Boston a donné lieu a un procès digne d’un Etat de droit. Djokhar Tsarnaev a même eu pour sa défense l’avocate Judy Clarke, célèbre pour avoir évité la peine de mort à plusieurs auteurs d’attentats. En Corée du Nord ou chez Daesh, les tribunaux sont toujours soit militaires, soit d’exception, soit inexistants, soit parodiques.

Trois cas bien différents, enfin, quant au statut des personnes tuées. Les victimes de Daesh sont innocentes. Leur seul crime consiste à avoir déplu à l’organisation terroriste parce qu’elles appartiennent à des familles qui sont restées fidèles au pouvoir syrien en place de Bachar El-Assad. Le ministre coréen est dans un cas similaire. On ne sait pas vraiment quelles étaient ses relations avec Kim Jong-Un, on ne sait pas vraiment ce qu’il a fait ou ce qu’il n’a pas fait, mais est arrivé un moment où il est devenu un embarras pour le dictateur qui a choisi de s’en débarrasser. Par contre, Tsarnaev n’est pas un innocent, son procès a établi sa culpabilité dans l’attentat de Boston aux côtés de son frère (qui est décédé en tentant d’échapper à la police).

Mais trois cas semblables car aucun n’est en rapport avec une obligation de légitime défense. La non exécution de tous ces êtres humains n’aurait pas accru un quelconque danger pour ceux qui ont tué ou vont tuer, et dans tous les cas, une solution alternative existait. Ne rien faire, pour Daesh, une peine d’emprisonnement pour le ministre et pour le terroriste tchétchène. Trois cas semblables donc, car par trois fois c’est la solution de la haine, de la violence et de l’irréversibilité qui a été choisie.

Bien sûr, tout cela est vu de ma fenêtre. Il est plus que probable que dans chacun des cas, les responsables soient intimement, quoique faussement, persuadés qu’ils n’ont pas d’autre choix. Enfermés dans des considérations paranoïaques qui leur sont propres et qui s’éloignent toujours plus de la réalité, ils pensent oeuvrer à leur survie, ils pensent éliminer des personnes qui les mettent authentiquement en danger. C’est une fuite en avant qui n’a aucune raison de s’arrêter, chaque exécution entraînant la suivante.

Le fait que le gouvernement coréen ait indiqué agir « pour l’exemple » est très révélateur. La culpabilité du ministre en est affaiblie. Les raisons de l’exécuter, lui tout spécialement, s’amenuisent. Un autre gradé aurait tout aussi bien fait l’affaire, car rien n’est plus éloigné de la justice que la punition « pour l’exemple » qui n’a d’autre but que de terroriser les survivants. Ce genre de fausse justice est très utilisée dans les systèmes collectifs. Je pense en particulier aux collèges et aux lycées qui sont pourtant censés délivrer une toute autre idée de la justice à leurs élèves.

Les défenseurs de la peine capitale tendent à considérer que certains crimes sont particulièrement horribles, par exemple lorsqu’ils touchent des enfants, et ils pensent qu’une sévérité exemplaire aura un effet dissuasif sur d’éventuels candidats assassins. Selon moi, aucune vie n’a à être écourtée de quelque manière que ce soit. L’âge, facteur impressionnant, n’a rien à voir à l’affaire. La vie des adultes est précieuse aussi. Quant à l’effet dissuasif, ça tiendrait peut-être la route si les terroristes et les assassins raisonnaient comme nous, mais ce n’est pas le cas. Ils ont des objectifs propres, des penchants personnels, qu’ils réaliseront quoiqu’il arrive. De plus, les erreurs judiciaires existent aussi. On a déjà vu des révisions de procès. Si les années passées injustement en prison paraissent déjà impossibles à réparer, que dire de la peine capitale ?

En France, où la peine de mort a été abolie en 1981 à l’instigation de François Mitterrand et son Garde des Sceaux Robert Badinter, il est important d’y réfléchir. En effet, un parti politique plutôt en vogue en ce moment, le Front national, propose dans son programme de reposer la question aux Français par référendum en s’imaginant ainsi faire montre de fermeté sur les questions pénales. Ce genre de consultation directe des électeurs paraît hautement démocratique, mais des possibilités de manipulation existent. Puisqu’il est possible d’en choisir la date, il sera aisé d’orienter plus ou moins le résultat, en la fixant quelque temps après un meurtre ou un viol particulièrement horrible par exemple.

Tant de similitude entre le cas 3 et les autres alors que les conditions politiques sont totalement différentes et tellement plus favorables aux droits des humains, voila une situation qui me fait horreur. Conclure à la mort alors qu’on passe gentiment par toutes les étapes d’un procès équitable, rigoureux et conforme au droit, voila un basculement dans la barbarie qui ne reflète plus la sérénité de la justice, mais une hystérie soudaine qui s’empare de la société. Le tribunal fédéral des Etats-Unis aurait tout aussi bien pu condamner Tsarnaev à une peine d’emprisonnement à perpétuité. La société n’aurait pas été moins bien servie.

L’humanisme, le pardon et la possibilité de la rémission auraient par contre été préservés.

4 réflexions sur “Contre la peine de mort

  1. Je suis de moins en moins d’accord. Depuis les prisons se pilotent des opérations, les chefs de gangs s’en trouvent presque plus libres. Ces éléments dangereux de la société vivent sur nos impôts ET continuent leurs exactions.

    • Bonjour et merci pour votre commentaire.
      Je fais de l’abolition de la peine de mort une question de principe.
      Par contre je pense que l’organisation carcérale a en effet besoin d’être revue. On a en France 114 détenus pour 100 places de prison (alors que la moyenne européenne est de 99,5 pour 100 places, les pays les moins bien lotis étant plutôt les ex pays de l’est).
      De plus, la France consacre environ 61 euros par habitant et par an à la justice, alors que c’est 115 pour l’Allemagne et près de 200 pour la Suisse. Un chiffre qui m’a marquée : notre budget de la justice est à peine plus élevé que notre budget de la culture (8 milliards d’euros contre 7).
      Vous me direz que ce sont des impôts ; oui, mais, c’est vraiment le prix de la civilisation, pour les victimes comme pour les reconnus coupables.
      Enfin, il me semble que c’est une pente bien glissante que de commencer à s’interroger sur le coût que représente l’existence d’une personne.

  2. On peut même être suspicieux vis-à-vis du système judiciaire qui a condamné Dzhokar Tsarnaev. Sans préjuger de sa culpabilité, qui semble établie, son procès n’a, semble-t-il, pas été un exemple de procédure équitable. La presse dite « mainstream » ne s’en est pas fait l’écho mais selon le site d’investigation WhoWhatWhy, repris par LewRockwell.com (un site libertarien), le FBI s’est employé à intimider les témoins à décharge par divers moyens.

    http://whowhatwhy.org/2013/10/29/feds-accused-of-harassing-boston-bomber-friends-and-friends-of-friends/

    https://www.lewrockwell.com/2014/10/no_author/why-the-coverup/

  3. Je suis comme vous opposé à la peine de mort mais pas pour les mêmes raisons. Sur le principe j’y suis plutôt favorable et je la vois comme une possibilité juste et appropriée dans certains cas. Si j’y suis opposé c’est pour deux raisons d’ordre pratique :

    1) L’exécution des innocents : on sait que lors de meurtres particulièrement révoltant, comme ceux des enfants ou encore les attentats, l’opinion réclame un coupable. Et on sait que plusieurs condamnés ont été un peu trop rapidement désignés comme coupables alors qu’ils étaient innocents. Dans ce cas, il s’agit non pas d’une peine mais d’un meurtre,

    2) Où placer le curseur ? Lorsque je pense à Fourniret, aux tueurs en série, ou aux terroristes de Daech, je suis personnellement convaincu que la peine de mort serait le meilleur choix. Mais c’est plus discutable dans bien d’autres cas. Il y a un risque de disproportion selon les tribunaux et selon le profil du criminel.

    Pour terminer je dirais que la peine de mort, ce n’est pas la loi du talion. La loi du talion c’est la proportionnalité de la peine à l’acte : oeil pour oeil, dent pour dent, il ne faut pas prendre au coupable plus ou moins que ce qu’il a commis. On n’exécute pas quelqu’un parce qu’il a volé une baguette de pain, et on ne libère pas un assassin sous prétexte qu’il est noble ou riche. La peine de mort c’est tout simplement une peine, sans doute la plus extrême, dans l’éventail des peines possibles.

    Et cette peine existe, bien qu’elle ne soit pas prononcée par des tribunaux. Les militaires n’ont pas hésité à supprimer des chefs de guerre en Syrie, si ce n’est pas la peine de mort, je n’y connais rien.

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