Elections : des résultats, mais quel message des Français ?

Les élections départementales des 22 et 29 mars 2015, annoncées depuis des semaines comme une défaite pour le gouvernement et pour la gauche, sont enfin passées. S’il semble y avoir un débat plausible sur la question de savoir qui a gagné ces élections, il n’y a en revanche aucun débat possible sur les perdants. Comme prévu, le gouvernement, les socialistes, et plus généralement toute la gauche ont lourdement perdu, comme en témoigne le nombre de départements passés à droite : sur 97 départements où l’on a voté, la gauche gouvernementale en a gagné 29, le Parti communiste 1 (Val-de-Marne) et la droite 67. La gauche dispose en plus de 4 départements où l’on ne votait pas : Paris, Lyon, Martinique et Guadeloupe, ce qui porte son total à 34 départements. Le FN n’obtient aucun département malgré le nombre élevé de voix récoltées au premier tour. Au cas où l’on ne serait pas suffisamment convaincu de l’échec de la gauche, la petite prestation télévisée de Jérôme Guedj, ainsi que ses déclarations catastrophées à la presse, sont particulièrement éloquentes : à titre personnel, il n’est plus président départemental de l’Essonne et redevient simple conseiller, quant aux socialistes, ils vont « dans le mur » pour 2017 si le gouvernement « ne change pas de braquet »

Le débat sur les gagnants de l’élection tient selon moi au fait que de nombreux binômes de candidats se présentaient non pas au titre d’un seul parti, mais au titre d’une alliance, ce qui ne permet pas d’établir de façon indiscutable les performances en voix de chaque parti, sauf pour le FN qui est resté chimiquement pur dans ses candidatures. De ce fait, je préfère ne pas lire les chiffres des résultats du premier tour donnés par le Ministère de l’Intérieur de façon directe, mais en procédant à des regroupements cohérents compte tenu des alliances à droite et à gauche ainsi que des situations d’opposition à gauche. Ces alliances ne sont pas nouvelles. Dans de très nombreux cas elles avaient déjà fait leurs preuves lors des élections municipales de mars 2014 et avant.

Concrètement, sur 42,7 millions d’électeurs inscrits au premier tour de l’élection, seuls 21,4 millions ont voté, portant la participation à un peu plus que 50 %. Sur les votants, 20,4 millions ont exprimé un choix se répartissant comme suit :

  • Les binômes du Front National ont récolté 5,1 millions de voix soit 25,2 % des suffrages exprimés,
  • Les binômes de droite ont obtenu 7,5 millions de voix soit 36,6 %,
  • Les binômes de la gauche au pouvoir ont eu 5,8 millions de voix soit 28,6 %,
  • Les binômes PC, FdG et écologistes ont gagné 1,7 millions de voix soit 8,1 %.
  • Et il reste 1,5 % pour des listes de divers et extrêmes hors alliances.

C’est un fait incontestable que le Front national progresse, en nombre de voix comme en pourcentage des suffrages exprimés, par rapport aux dernières élections auxquelles il a participé, à savoir les Européennes de mai 2014 (4,7 millions de voix et 24,8 %). Et ce d’autant plus que la non participation de Paris et Lyon lors des départementales a limité le nombre des inscrits à 42,7 millions contre plus de 46 millions pour la France entière aux Européennes.

A propos de mes regroupements, on pourra sans aucun doute me taxer de « lillocentrisme », c’est à dire d’une déformation qui me fait voir la France comme je vois mon canton de Lille 5 et ses quatre piles de bulletins de vote. D’accord. Et pourtant, tout le ballet politico-politicien qui se joue devant nous chaque jour s’articule autour de ces quatre forces, à l’exception de quelques électrons libres qui sautillent d’un noyau à l’autre, je pense à François Bayrou par exemple. Les indices d’une telle composition ? Les tentatives, à nouveau à l’ordre du jour, de conciliations des socialistes avec les écologistes et le Front de gauche pour la gauche, et la position du ni (PS) ni (FN) de l’UMP associé à ses nombreuses alliances avec l’UDI pour la droite. Alliances qui n’ont pas attendu qu’Alain Juppé y pense pour se faire. Si le Parti socialiste parvient à se rabibocher avec les partis qui représentent 8 % sur sa gauche, la France se trouvera dans une situation de tripartisme qui justifiera pleinement les alliances UMP/UDI avec ce qui reste du Modem.

Les résultats des élections départementales relancent également le problème du mode de scrutin. L’ouragan majoritaire a fonctionné à plein pour la droite. Un tiers des voix lui a en effet permis de s’octroyer 67 % des départements. C’est bien sûr la question d’une dose plus ou moins importante de proportionnelle qui se pose. Et au vu des chiffres, on comprend que le Front national y soit favorable. Si le vote à la proportionnelle, intégrale ou pas, a l’air plus juste, plus équitable car il assurerait une représentativité photographique des voeux du corps électoral, il ne me convient guère car il a aussi des effets secondaires peu souhaitables. Il favorise l’émiettement de l’offre politique avant les élections, ce qui débouche inévitablement sur la nécessité de faire des alliances de gouvernement après les élections au prix de pas mal d’instabilité politique. A ce stade, la représentativité des électeurs est très loin des préoccupations des hommes politiques.

Les électeurs ont donc voté et on a eu des résultats, dont un qui domine dans les faits comme dans les esprits : la gauche qui est au pouvoir actuellement vient de subir un échec sévère. Qu’est ce que les Français qui se sont rendus aux urnes ont bien pu vouloir dire à leurs hommes politiques, et en particulier à leur gouvernement ?

Si l’on en croit Manuel Valls, premier ministre depuis le revers électoral subi par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault aux élections municipales de mars 2014, les Français ont dit qu’ils souhaitaient le voir rester à la tête du gouvernement. Ce n’est pas vraiment le résultat des élections qui le fait parler ainsi, mais un sondage Ifop-Fiducial du 29 mars selon lequel 54 % des Français interrogés veulent garder Valls tout en demandant un remaniement du reste du gouvernement. Un autre sondage, plutôt contradictoire et dont il se vante moins, publié le 27 mars par le journal l’Alsace.fr, fait état d’une chute de popularité importante le concernant : sa cote de confiance perd 7 points pour s’établir à 39 %. Du reste, élections ou pas, Manuel Valls considère depuis longtemps que « (son) destin n’est pas en jeu. La politique économique, qui est en train de donner des résultats, va se poursuivre. Donc (sa) mission comme Premier ministre va se poursuivre. » 

Je prends Manuel Valls pour un individu autoritaire sous l’emprise d’une idée fixe : sa stature d’homme d’Etat va sauver la France. Je ne suis donc pas étonnée de le voir préférer des sondages à une élection, ni de l’entendre parler des succès de sa politique alors qu’il est en fait en campagne électorale depuis des semaines. Je suis malgré tout inquiète : quels résultats de sa politique économique ? S’il parle du chômage, c’est raté : les chiffres de février 2015 sont mauvais. S’il parle du déficit qui est moins pire que prévu, c’est encore raté : à force d’alourdir les prévisions, on finit toujours par avoir une meilleure réalisation. Et s’il parle de la consommation des ménages, c’est vraiment optimiste de sa part car elle a été de + 0,1 % en février.

Ayant compris les Français comme il les a compris, Manuel Valls s’est donc mis à la tâche immédiatement. Il a décidé avec l’accord de François Hollande de sécher le Conseil des ministres franco-allemand du mardi 31 mars pour rencontrer les députés du Parti socialiste et les assurer que les Français ne demandaient qu’une seule chose, la continuation de sa politique. Pour l’instant, un remaniement ministériel est exclu sauf « s’il y a un pacte entre les socialistes et les écologistes », « s’ils considèrent que c’est possible de gouverner sur la ligne économique qui est la nôtre, sur les réformes en matière de transition énergétique que nous sommes en train de mener et sur la lutte contre les inégalités. » Avant de convaincre les écologistes, il lui faudrait déjà convaincre ses propres troupes, et ça s’annonce difficile. Entre Emmanuel Macron qui annonce une loi Macron II sur les décombres des Conseils départementaux socialistes, les frondeurs qui réclament un changement de cap et Martine Aubry qui sort opportunément de sa retraite lilloise pour réaffirmer son opposition à la politique du premier ministre, Manuel Valls va avoir fort à faire.

De son côté, François Hollande considère que la crise que vit le Parti socialiste au pouvoir est à mettre sur le dos des divisions de la gauche orchestrées par les socialistes frondeurs, les écologistes et le Front de gauche. C’est purement technique, tout ça. L’opinion des Français n’est même pas un paramètre.

Quelle est donc l’opinion des français ? Les Français savent qu’ils ne sont pas contents du gouvernement. C’était prévisible d’après les sondages, c’est confirmé dans les urnes. Mais il y a toutes sortes de Français : il y a d’abord les quelques sociétal-socialistes façon PS Solférino qui soutiennent encore le gouvernement, puis il y a ceux qui trouvent que le gouvernement n’est pas assez syndical-socialiste façon Mélenchon, ceux qui trouvent que le gouvernement n’est pas assez « national »-socialiste façon Le Pen, ceux qui trouvent que le gouvernement n’est pas assez business-socialiste façon droite et enfin, plus rares, ceux qui trouvent que le gouvernement n’est pas assez éloigné du socialisme façon libérale. Mais dans leur grande majorité, les Français veulent que tout aille mieux, tout en ne changeant surtout rien. Comment cela pourrait-il marcher ? C’est déprimant.

7 réflexions sur “Elections : des résultats, mais quel message des Français ?

  1. Bonjour Nathalie

    Je me suis posé la même question que vous. j’ai griffonné quelques notes, mais je n’ai rien écrit sur le moment, je voulais laisser décanter. La publication d’un sondage IFOP, dans le JDD, je crois, m’a décidé à aborder le sujet.
    Bien entendu, je n’y réponds pas, il faudrait des semaines de travail pour dépasser le stade des banalités et des a priori; mais je pose la question de la pratique démocratique et de son détournement. Je soutiens que le système confisque, détourne les voix, voix au sens très fort de paroles, de demandes.

    Comme je suis pessimiste, je conclus par une triste idée sur le peuple Français , bien sur!
    Ce texte sera sur Lupus, mais en attendant il doit être sur le nouveau site jumeau de Lupus.
    Ce serait une contribution complémentaire, intéressante si vous postiez en lien ou en entier votre billet chez nous , sur ce même thême.
    Cordialement

  2. Bonjour Nathalie,

    Excellente analyse, bien plus centrée sur Valls et les attentes illisibles des français tandis que de mon côté j’enrage sur la dissymétrie du traitement entre les paléo-communistes et le FN qui paralyse la droite et assure le maintien au pouvoir du socialisme pourtant massivement rejeté.

    J’avais aussi pour projet de dire un mot sur l’affreux Guedj car ayant grandi en Essonne, sa défaite – comme vous et les aubristes du Nord je suppose – m’a procuré une joie certes futile mais bien plaisante sur le moment! Mon père me racontait hier que sur les brochures de propagande du département, depuis des années il n’y avait pas plus de 2 pages consécutives sans une photographie de Guedj inaugurant tel truc, tel chantier etc montrant le leader maximo et son socialisme triomphant dépensant avec allégresse mais bien entendu dans l’intérêt collectif général des masses laborieuses de l’Essonne. Prions pour que la droite aux manettes désormais n’en fasse pas autant ce dont malheureusement je doute…

    Je reconnais n’avoir pas creusé la lecture paradoxale des français et des sondages sur Valls et leurs attentes en particulier. C’est un point fondamental que vous soulevez et qui conforte mon intuition que ce foutoir électoral pré-présidentielles complique sérieusement la tâche de celui ou celle qui voudrait se faire élire avec un programme de réformes structurelles qui seraient enfin de vraies réformes.

    Bien à vous.

    • J’ai tendance à me concentrer sur Valls, Hollande et les socialistes, parce qu’ils sont au pouvoir actuellement. Leurs décisions influent directement sur nos institutions et nos vies. Mais beaucoup de ballons sont en l’air et je ne saurais dire dans quelles mains tout ça va retomber d’ici 2017. Il faudrait que la situation économique se dégrade énormément pour que les Français entament un semblant de prise de conscience. Pour l’instant, notre protection sociale, qui est l’un des éléments qui nous poussent vers le fond puisqu’elle n’est que dette supplémentaire, est aussi l’élément lénifiant qui repousse la prise de conscience. C’est un point de plus qui me fait dire que si la croissance redémarre même un petit peu d’ici 2017, Hollande a toutes ses chances. On aura passé le cap sans rien réformer, jackpot électoral pour les socialistes, mais risque élevé de rechute grave au premier petit souffle de vent, et rebelote.
      Merci beaucoup pour votre contribution, Nathalie MP.

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