Cambodge : Marx 0 – Jésus 1

En ce dimanche des Rameaux, nous les chrétiens commémorons l’arrivée, triomphale mais sur un âne, de Jésus à Jérusalem. Comme beaucoup de ses compatriotes, Jésus venait y fêter la Pâque en souvenir de la libération du peuple juif de l’esclavage qui fut le sien en Egypte. En hébreu, la Pâque se dit Pessah et signifie passage. Il s’agissait bien en effet d’un passage de l’esclavage à la liberté. Après une Semaine Sainte riche en rebondissements qui verra Jésus laver les pieds de ses apôtres, être trahi par Judas, puis arrêté, jugé, torturé, condamné à mort, mis en croix, mort et introuvable dans son tombeau, nous fêterons Pâques, un autre passage, celui de la résurrection, celui de la mort à la vie.

Le passage de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie, c’est celui que Christian et Marie-France des Pallières, fondateurs en 1995 de l’association Pour un sourire d’enfant ou PSE ont proposé aux enfants du Cambodge qui subissaient encore à cette date les effets épouvantables du régime communiste totalitaire des Khmers rouges, régime dont on peut dire sans crainte d’exagérer qu’il constitua pour sa part un passage de la liberté à l’esclavage et de la vie à la mort. 

Quarante ans après, rappelons-nous la triste histoire du Cambodge à l’époque des Khmers rouges :

Le Cambodge(*) a toujours vécu au rythme de son ethnie majoritaire, les Khmers, et le pays d’aujourd’hui se voit comme l’héritier de l’empire khmer qui dominait la péninsule indochinoise au XIIème siècle. C’est de cette époque que date le fabuleux temple d’Angkor Vat, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et parfois considéré comme la huitième merveille du monde.

En 1863, le Cambodge devient un protectorat français et intègre progressivement l’empire colonial de la France, tout comme deux autres pays, le Vietnam et le Laos, formant à eux trois l’Indochine française. Pendant cette période, les relations entre la France et le Cambodge ont toujours été plus de l’ordre de la cohabitation que de l’ordre de la domination. De ce fait, le prince Norodom Sihanouk  (1922-2012) parvient sans trop de difficulté à obtenir des Français l’indépendance de son pays en 1953.

carte cambodge et vietnamSi le Cambodge a su rester à l’écart de la guerre d’Indochine (1946-1954), qui s’est soldée dans les accords de Genève par le partage du Vietnam en deux zones militaires nord et sud séparées par le 17ème parallèle, il va lui être de plus en plus difficile de préserver sa neutralité lors de la reprise des hostilités en 1956 entre le Nord-Vietnam communiste d’Hô Chi Minh et le Sud-Vietnam soutenu par les Etats-Unis et infiltré par le Vietcong communiste (Front national de libération du sud-Vietnam).

Le Cambodge partage en effet une longue frontière avec le Vietnam, et tant les forces communistes que les forces américaines vont se servir des provinces du sud et de l’est du Cambodge comme bases arrières dans ce conflit (carte ci-contre pour situer les pays). D’un côté, Norodom Sihanouk, dont la personnalité oscille entre vision stratégique et caprice, a rompu les relations diplomatiques avec les Etats-Unis en reconnaissant le pouvoir communiste en place à Hanoï (capitale du Nord-Vietnam) ainsi que les forces communistes du Vietcong comme seules représentantes du Sud-Vietnam. Mais d’un autre côté, il s’inquiète des progrès de la lutte armée menée par le Parti communiste khmer (PCK) au sein même du Cambodge. Après tant de tergiversations, il est finalement renversé par son propre gouvernement en 1970.

S’ouvre alors une période de guerre civile (1970-1975) extrêmement violente. Pour faire reculer les forces khmers rouges soutenues par Hanoï, les américains bombardent massivement les zones de combat au point de susciter une haine qui va assurer au PCK un nombre important de recrues rurales. Environ un tiers des huit millions de cambodgiens fuient les campagnes afin d’échapper aux bombardements et gagner les villes devant l’avancée des Khmers rouges. La conquête finale de Phnom Penh le 17 avril 1975 est reçue avec soulagement, y compris par les vaincus, tant il est impossible d’imaginer pire situation que cette guerre. « Et pourtant… », comme dit Jean-Louis Margolin(*).

Le nouvel Etat s’appelle Kampuchéa démocratique. Khieu Samphan en est le dirigeant officiel, mais la direction réelle appartient à Pol Pot, chef du PCK (ou Angkar) et premier ministre. L’un comme l’autre ont fait leurs études à Paris et se sont rapprochés du Parti communiste français (PCF). En particulier, ils y ont rencontré Jacques Vergès, membre du PCF et farouche contempteur du colonialisme. La proximité du communisme cambodgien avec le communisme chinois est très nette, mais l’expérience des Khmers rouges est à la fois si brève et si paroxystique, qu’on se demande si elle constitue un cas extrême et aberrant, ou plutôt une caricature révélatrice des traits fondamentaux du communisme.

Première action immédiate et spectaculaire du nouveau pouvoir : l’évacuation forcée de Phnom Penh et des autres villes du pays. On estime qu’environ 50% de la population totale aurait été ainsi contrainte à l’exode du jour au lendemain. Toute la philosophie des Khmers rouges consiste à vouloir transformer les habitants des villes en ruraux. Ces citadins sont un « nouveau peuple » qu’il faut rééduquer dans des camps de travail, par opposition à « l’ancien peuple » des paysans qui était sous le contrôle du PCK depuis le début de la guerre civile.

Mais anciens ou nouveaux, s’ils résistent, les cambodgiens sont tués. La monnaie est abolie, de même que la propriété privée. Les familles sont séparées. D’immenses travaux sont entrepris. L’épuisement au travail, la malnutrition, la famine et les maladies qui s’ajoutent aux exécutions sommaires, vont provoquer la mort de deux millions de personnes (estimation conservatrice) en l’espace de trois ans, soit plus de 20 % de la population de l’époque. Ce qui n’empêchera pas Pol Pot de déclarer(*) en 1979 que « seuls quelques milliers de Cambodgiens ont pu mourir suite à des erreurs dans l’application de (sa) politique consistant à donner l’abondance au peuple. »

Entre 1975 et 1979, les rapports avec le pouvoir communiste de Hanoï se sont envenimés. En décembre 1978, l’armée du Nord-Vietnam passe à l’offensive au Cambodge et met rapidement en déroute l’armée khmer. Début 1979, les membres pro-vietnamiens du PCK proclament la République populaire du Cambodge. C’est la fin des Khmers rouges, mais pas la fin du communisme, qui perdurera jusqu’en 1991, date à laquelle des élections sont organisées.

Norodom Sihanouk devient président. En 1993, une assemblée législative est élue et travaille à la rédaction d’une nouvelle Constitution. Le pays devient le Royaume du Cambodge et Norodom Sihanouk est à nouveau roi. A son décès en 2012, son fils lui succède. Un certaine stabilité semble s’être installée au Cambodge. Les ex-dirigeants Khmers rouges commencent à être jugés. Deux d’entre eux, dont Khieu Samphan, ont été reconnus coupables de crimes contre l’humanité en 2014.

Ci-dessous, vidéo de la bande-annonce du film de Roland Joffé The Killing Fields (La déchirure, en français) qui raconte la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges en 1975 et le calvaire de Dith Pran, journaliste et interprète vietnamien ayant travaillé pour le New York Times.

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Et maintenant, voici l’histoire beaucoup plus lumineuse de l’association Pour un sourire d’enfant :

J’ai assisté récemment à une présentation de cette association, et voici ce que j’ai appris :

Fin 1995, Christian et Marie-France des Pallières, la cinquantaine largement passée, enfants élevés, sont en voyage touristique au Cambodge. Passant par hasard à proximité de la décharge publique de Phnom Penh, ils tombent en arrêt devant un spectacle qui leur broie le coeur : des dizaines et des dizaines d’enfants en haillons pataugent dans les immondices à la recherche de nourriture ou de menus objets récupérables.

Se sentant d’un seul coup dans l’obligation incontournable de « faire quelque chose », ils achètent du riz, des couverts, une grosse marmite et distribuent un repas aux enfants directement sur la décharge. Mais ils comprennent vite qu’ils sont dépassés et qu’ils doivent s’organiser. De retour en France, ils alertent leurs proches, leurs amis et parlent de ces enfants en besoin de tout, jusqu’à pouvoir fonder Pour un sourire d’enfant et récolter des fonds.

C’est là qu’intervient ce qui m’a complètement renversée : ils vendent leur maison, achètent une camionnette et repartent début 1996 au Cambodge dont ils ont maintenant la nationalité. C’est à dire qu’ils font très précisément ce que les premiers apôtres Pierre, Jacques et Jean firent quand ils rencontrèrent Jésus pour la première fois (Luc 5, 1-11) : « Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent ». Qui fait ça ? Les personnes qui veulent entrer dans les ordres font ça, mais c’est une décision qui est prise tôt dans la vie. Qui fait ça en plein milieu de sa vie ? Les Pallières font ça, et ils ne s’arrêteront plus de faire ça.

Car très vite ils comprennent qu’après un repas, c’est de l’instruction qu’il faut aux enfants, et après de l’instruction, c’est un métier, qui permettra d’avoir un emploi. Actuellement, 6 400 enfants sont inscrits dans les programmes de PSE. Ils sont nourris, soignés, protégés, scolarisés et formés à un métier.

Les filières professionnelles proposées sont nombreuses et variées : Hôtellerie Restauration, Coiffure Esthétique, Métiers de l’aide à domicile, Métiers de la gestion et de la vente, Métiers du cinéma, Métiers de l’informatique, Métiers techniques dans le jardinage, la mécanique automobile et le bâtiment. PSE veut apporter le meilleur niveau possible aux enfants et s’est assuré pour chaque filière le parrainage attentif d’un acteur important du secteur : Norauto pour les métiers de la mécanique, l’ESSEC pour les métiers de la gestion, l’Ecole Hôtelière de Lausanne pour les métiers de l’hôtellerie restauration, par exemple.

Apolitique et non confessionnelle (mais d’inspiration catholique), l’association PSE s’appuie essentiellement sur les dons et le bénévolat. Ses frais de fonctionnement sont très réduits et 95 % des fonds récoltés sont dépensés directement dans les projets en faveur des enfants. Pour un sourire d’enfant a reçu le Prix des droits de l’homme de la République française en 2000.

Je vous invite très vivement à regarder la vidéo ci-dessous qui explique tout, bien mieux que je ne pourrais le faire :


(*) Source : En plus des liens donnés directement dans le texte, j’ai utilisé Le livre noir du communisme, Ed. Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1997 – Cambodge : Au pays du crime déconcertant par Jean-Louis Margolin.


cambodge-enfants5Illustration de couverture : enfants recueillis par l’association PSE.

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