Le cas de la Baraque à frites (I)

Chaque année à la rentrée des classes c’était le même problème : qu’est-ce que les enfants allaient bien pouvoir inscrire sur les fiches de renseignements demandées par les professeurs dans la case « profession des parents » ? On s’est mis d’accord sur différents vocables, mais très vite la question a pris de l’ampleur : Mais finalement, qu’est-ce que vous faites ? Eh bien, papa et moi, nous travaillons dans des entreprises qui … et nous on … Oui, mais c’est quoi une entreprise ? Et c’est là que la « Baraque à frites » est apparue.

Au début, son activité était des plus simples : elle se contentait d’acheter des pommes de terre et de revendre des barquettes de frites sans huile, sans sel, sans friteuse et sans éplucher les pommes de terre. Maintenant, elle fait des trucs dingues : par exemple, allez savoir pourquoi, elle s’approvisionne en pommes de terre aux États-Unis, en conséquence de quoi elle doit surveiller sa position euro-dollar.

Le cas de la « Baraque à frites » se propose d’expliquer le fonctionnement d’une entreprise à partir de situations simplifiées présentées à travers le bilan, le compte de résultat et le tableau des flux financiers. Il a pour objectif de montrer qu’au début il n’y avait rien. Que c’est par la volonté, les idées et les risques pris par une personne (ou un groupe de personnes) sur ses biens personnels et/ou en s’endettant qu’il y a eu une création de valeur ajoutée sous forme d’un produit ou d’un service. Qu’il s’agit bien de création de valeur puisqu’à un moment donné quelqu’un a été d’accord de payer un certain prix pour s’approprier le produit ou le service.

Avant d’entrer dans les chiffres de mes situations simplifiées, il me semble utile de donner une définition de ce qu’est une entreprise. Il existe de nombreuses façons de la définir. En voici une, assez complète je crois :

  • L’entreprise est une structure juridique à finalité économique
  • Dont le but est de produire des biens et services appréciés et achetés par des clients
  • En engageant des capitaux (actionnaires) et des personnes (salariés dont management)
  • En prenant des risques
  • Dans un univers incertain (ce qu’on ne sait pas) et variable (ce qu’on sait mais qui va bouger dans le temps)
  • Oscillant entre création de richesse et faillite
  • En relation avec de nombreux acteurs via des contrats plus ou moins formalisés (dont certains sont intégrés au bilan de l’entreprise et d’autres non)
  • Et valorisable (par une cession, une cotation en bourse) uniquement si elle dispose chaque jour de la trésorerie suffisante pour faire face à ses engagements

Et maintenant, les exemples chiffrés. Dans tous les cas, on suppose que 100 % des pommes de terre sont converties en frites. La réalité du processus industriel n’est pas garantie. Toute ressemblance de quoi que ce soit avec quoi que ce soit serait purement fortuite.

Situation 1 :

Arnaud Montebourg décide de se lancer dans une activité de vente de barquettes de frites (made in France). Sa belle-mère lui prête la friteuse et Habitat lui prête la caravane tout équipée,  rideaux à rayures marinière compris, ainsi qu’un emplacement sur un parking de magasin.

Pour la première période, Arnaud Montebourg a évalué qu’il pourrait écouler 200 kg de frites. Il a donc besoin d’un capital de départ pour acheter 200 kg de pommes de terre. Comme elles coûtent 1 €/kg, il doit réunir 200 € de capital initial qu’il prend sur son épargne personnelle et qu’il va déposer sur un compte en banque spécialement ouvert au nom de la Baraque à frites.

Le bilan initial de La Baraque à frites est donc le suivant :

ACTIF Compte en banque 200 PASSIF Capital social 200

Au passif du bilan, on trouve les ressources financières de l’entreprise, à savoir du capital et des dettes. A l’actif, on trouve les emplois qui sont faits de ces ressources : ce peut être un bâtiment, une machine, un stock de pièces ou de produits finis, un prêt à un client, et bien sûr l’argent des comptes en banque.

Arnaud Montebourg décide de vendre les frites 5 €/kg. Il n’a pas de salarié et ne se paie pas. On suppose que le taux d’impôt sur les sociétés est de 30 %, que cet impôt est payé le dernier jour de la période et qu’il n’y a pas d’autres taxes. On suppose en outre qu’il ne reste aucun stock de pommes de terre ou de frites à la fin de la période.

Le compte de résultat de la période s’établit donc comme suit :

Chiffre d’affaires 200 kg x 5 € = 1000
– Coût des ventes – 200 kg x 1 € = -200
= Résultat avant impôt     800
– Impôt sur les sociétés (30 %) -240
= Résultat net     560

Avec son résultat net de 560 €, Arnaud Montebourg peut faire plusieurs choses : laisser cette somme dans l’entreprise afin d’investir dans l’achat d’une friteuse supplémentaire ou de faire l’acquisition d’une baraque à frites concurrente ou d’embaucher un salarié, ou bien s’en verser tout ou partie au titre de dividendes.

S’il laisse l’argent dans l’entreprise, le bilan de fin de période de La Baraque à frites devient :

ACTIF Compte en banque 760 PASSIF Capital social 200
Résultat période 560
Total Actif 760 Total Passif 760

La somme de 760 € sur le compte en banque se décompose de la façon suivante : + 200 € d’apport en capital initial – 200 € pour acheter les 200 kg de pommes de terre + 1000 € encaissés grâce aux ventes de frites – 240 € payés en impôt au Trésor public. C’est la version très simple du tableau des flux financiers.

Ce premier exemple permet d’aborder une distinction essentielle, celle des stocks et des flux, celle du patrimoine et des revenus. Le bilan donne une photographie des stocks financiers, c’est à dire du patrimoine de l’entreprise, à un moment donné, tandis que le compte de résultat fait le décompte des flux financiers qui sont entrés et sortis de l’entreprise pendant une période donnée.

À ce stade, même sur une situation extrêmement simplifiée, on peut déjà remarquer que l’activité de La Baraque à frites, qui a été capable de produire des frites et de les vendre à des clients à un certain prix, a généré une création de richesse de 800 € dont 240 € ont été récupérés par l’État à travers l’impôt et dont 560 € sont à la disposition de l’entreprise pour ses développements futurs et éventuellement pour la rémunération de l’actionnaire.

Sans la décision d’Arnaud Montebourg de s’engager dans cette affaire et d’y consacrer 200 € pris sur son épargne personnelle, rien de tout cela n’aurait été possible et cette richesse nouvelle n’existerait pas, ni pour l’État, ni pour l’entreprise, ni pour son actionnaire.


Situation 2 :

La situation précédente est sympathique dans sa simplicité, mais assez éloignée de la réalité. Dans la vraie vie, les clients ne paient pas tous au comptant et comme La Baraque à frites est aussi cliente de ses fournisseurs de pommes de terre, elle a également des facilités de paiement. De plus, Arnaud Montebourg juge prudent de constituer des stocks de pommes de terre, car pour l’instant, le prix d’achat de 1 € est bas par rapport à ce qu’il connait du cours de la pomme de terre. Il va donc en acheter 250 kg et en stocker 50 kg (20 %).

Dans cette Situation 2, on conserve les hypothèses de la Situation 1, mais on rajoute les points suivants : La Baraque à frites achète non plus 200 kg mais 250 kg de pommes de terre et en stocke 20 %, les ventes de frites au comptant représentent 50 % des ventes, les achats de pommes de terre au comptant représentent 30 % des achats et l’impôt société de la période est payé à la période suivante.

Dans ces conditions, Arnaud Montebourg pourrait démarrer son activité avec un capital de 75 € seulement, correspondant à la somme à débourser pour acheter les 250 kg de pommes de terre dont seulement 30 % au comptant.

Mais un fournisseur prudent qui fait crédit souhaite avoir des clients solvables, il est donc préférable que La Baraque à frites soit dotée d’un capital couvrant plus que le premier paiement des pommes de terre. On suppose donc un capital initial de 200 € comme ci-dessus. Dans les faits, c’est au dirigeant de décider de la hauteur de son capital en fonction de ce qu’il sait de son marché.

Le bilan initial de La Baraque à frites dans la Situation 2 est donc inchangé par rapport à la Situation 1 :

ACTIF Compte en banque 200 PASSIF Capital social 200

En raison du stockage de 20 % des 250 kg de pommes de terre achetées, les frites vendues représentent 250 kg x 0,80 = 200 kg. Le coût des ventes n’est pas le prix d’achat des 250 kg de pommes de terre achetées puisque 50 kg sont stockés pour plus tard. Dans ce cas, le coût des ventes est égal au prix d’achat des 250 kg MOINS le prix des pommes de terre non utilisées dans la période, c’est à dire MOINS la variation des stocks de pommes de terre. Or ces stocks passent pendant la période de 0 kg à 50 kg :

Le compte de résultat de la période s’établit donc comme suit :    

Chiffre d’affaires 200 kg x 5 € = 1000
– Coût des ventes – 250 kg x 1 € = -250
+ Variation des stocks (50 kg – 0) x 1 € = 50
= Résultat avant impôt     800
– Impôt sur les sociétés (30 %) -240
= Résultat net     560

Le bilan de fin de période devient plus complexe. Le capital social reste à 200 € comme au début de la période. Le montant du résultat affecté, en supposant que l’intégralité soit gardée dans la société comme dans la Situation 1, reste également à 560 €.

Mais le passif se complète maintenant d’une dette à l’égard des fournisseurs. Sur les 250 kg de pommes de terre achetées, seuls 30 % ont été payés au comptant, soit 250 kg  x 1 € x 0,30 = 75 €. En fin de période, la baraque à frites doit donc à ses fournisseurs 250 € – 75 € = 175 €.

Le Passif se complète également d’une dette à l’égard du Trésor public puisqu’on a supposé que l’impôt société de la période serait payé à la période suivante. Cette dette se monte à 240 €.

A l’actif, on voit aussi apparaître de nouveaux postes. Comme les ventes au comptant ne représentent que 50 % des ventes, l’entreprise a une créance sur ses clients de 200 kg x 5 € x 0,50 = 500 €.

De même, comme elle a constitué des stocks à hauteur de 20 % des 250 kg achetés pendant la période, elle dispose d’un actif en pommes de terre de 250 kg x 1 € x 0,20 = 50 €.

Enfin, son compte en banque présente un solde positif de 625 € en fin de période, se décomposant comme suit : + 200 € de capital initial – 75 € payés pour l’achat comptant de 30 % des 250 kg de pommes de terre + 500 € encaissés pour la vente comptant de 50 % des 200 kg de frites. Et c’est tout, car comme on l’a dit, l’impôt société sera payé à la période suivante et donne pour l’instant lieu à une dette.

Dans la Situation 2, le bilan de fin de période de La Baraque à frites devient donc :

ACTIF Compte en banque 625 PASSIF Capital social 200
Résultat période 560
Créances clients 500 Dettes fournisseurs 175
Stocks P de T 50 Dette fiscale 240
Total Actif  1175 Total Passif  1175

Cette Situation 2 permet d’introduire le concept de Besoin en fonds de roulement ou BFR. Une entreprise a deux BFR. Le BFR d’exploitation est égal aux créances clients + les stocks – les dettes fournisseurs. Dans notre exemple, il se monte donc à 500 + 50 – 175 = 375 €. Le BFR hors exploitation comprend toutes les autres créances de court terme moins dettes de court terme, telles que la dette fiscale de notre exemple, soit – 240 €. Le BFR total est de 135 €.

Cela signifie que La Baraque à frites dans cette configuration spécifique a besoin en permanence d’avoir 135 € de ressources financières. Si ses ressources tombent pour une raison ou une autre (par exemple arrêt de la dette fournisseurs) en dessous de ce seuil, elle doit soit réduire son activité soit elle entre en situation de cessation de paiement. A défaut de trouver rapidement de nouveaux concours financiers, l’entreprise pourrait éventuellement faire faillite.


Dans Le cas de La Baraque à frites (II) prévu pour vendredi (si j’ai le temps), je présenterai deux situations supplémentaires de complexité croissante : introduction d’amortissement et de financement par dette, ce qui permettra d’affiner la notion de résultat avec les notions intermédiaires d’EBITDA (excédent brut d’exploitation ou EBE en français) et d’EBIT (résultat d’exploitation), puis introduction d’une acquisition.


IMG_6500Illustration de couverture : photo extraite du site
http://www.emmanuelkormann.com/racine/article/frites

2 réflexions sur “Le cas de la Baraque à frites (I)

  1. la friteuse sans huile ! Depuis qu’elle est arrivée à la maison, elle trône fièrement dans la cuisine et il ne se passe plus une semaine sans que j’ai l’occasion de l’utiliser : frites, mais aussi légumes diverses et variés, viandes blanches comme du poulet mariné… Les possibilités sont nombreuses et paraissent inépuisables! Je suis fane! Et au delà de la diversité des plats réalisable avec une friteuse sans huile, qui n’a finalement de friteuse que le nom, les avantages sont nombreux. Petit tour d’horizon.

Laisser un commentaire