GRÈCE : retour vers le réel en quatre semaines

Il y a exactement quatre semaines, le dimanche 25 janvier 2015, le parti d’extrême-gauche « Syriza » mené par son chef Alexis Tsipras, gagnait triomphalement les élections législatives grecques. Avec plus de 36 % des suffrages, il devançait non seulement le parti modéré « Nouvelle Démocratie » du Premier Ministre sortant Antonis Samaras (28 %), mais reléguait très loin derrière le parti néo-nazi « Aube Dorée » (6,4 %), le nouveau parti centriste pro-européen « To Potámi » (5,9 %), et surtout le Pasok, parti socialiste local aux commandes avant 2012, qui n’obtenait que 4,8 % des voix.

Avec 149 sièges sur 300, Syriza voyait la majorité absolue lui échapper de très peu, mais ce fut une affaire rondement réglée par une alliance franchement à droite avec le petit parti souverainiste des Grecs indépendants ANEL qui avait obtenu 4,7 % des voix et 13 sièges (*). La réussite de Syriza dans les urnes a été saluée avec beaucoup d’enthousiasme par l’extrême-gauche française, ce qui est assez normal, mais également par le Parti Socialiste français et par le FN de Marine Le Pen.

Derrière une telle victoire électorale, il y a naturellement un programme qui décoiffe. Et derrière un programme qui décoiffe, il y a naturellement un sujet qui fâche. Syriza se présente comme le parti anti-austérité, laquelle austérité est entièrement attribuée à l’oppression financière, monétaire et économique que l’Union européenne se plait à imposer par pure malignité aux peuples d’Europe.

Au soir de sa victoire, Alexis Tsipras déclarait : « Le verdict des urnes est clair, le mandat donné par le peuple grec annule les plans d’austérité. Il renvoie la troïka au passé ! » La Troïka, c’est le trio composé de la Banque centrale européenne (BCE), du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Union européenne (UE) créé en 2010 pour mener la Grèce vers la sortie de crise.

Car oui, la Grèce est en crise. Entre 2008 et 2014, ce pays de 11 millions d’habitants a perdu un quart de son PIB, tandis que son taux de chômage passait de 8,4 à 28 % de la population active et que la part de sa dette dans le PIB augmentait de 117 % à 170 %. Son économie, fondée essentiellement sur le tourisme et le transport maritime, est fragile et vit depuis le début des années 2000 sur le ressort d’une dette atteignant 100 % du PIB.

Economie grecque

Les dépenses sont en augmentation constante du fait du poids trop élevé des fonctionnaires dans une économie de cette taille. La fonction publique est pratiquement une variable d’ajustement du chômage et un réservoir de votes pour les partis au pouvoir, alternativement les socialistes du Pasok ou les modérés de Nouvelle Démocratie. A quoi s’ajoutent une importante fraude fiscale, une corruption connue et reconnue, une économie souterraine qui représente 20 % du PIB et pour couronner le tout, des statistiques falsifiées.

Arrive un moment où la Grèce ne peut plus faire face à ses échéances de dette et de salaires tout en devant affronter une situation sociale potentiellement explosive et des marchés financiers peu enclins à lui accorder de nouveaux prêts. L’Union européenne va l’aider, malgré les réticences de l’Allemagne qui ne tient pas du tout à faire peser les turpitudes des pays dits « Club Med » sur sa propre population, qui se rappelle fort bien les efforts exigés par la réunification allemande.

La Troïka se met donc en place en 2010 et propose un premier plan de sauvetage de 110 milliards d’euros. Un second prêt de 130 milliards d’euros suit en 2013 après le vote de plusieurs programmes nationaux d’austérité (réduction des dépenses, contrôle des embauches de fonctionnaires etc..). Au total, l’aide fournie par la Troïka à la Grèce est de l’ordre de 380 milliards d’euros, à la fois sous forme de prêts, de sommes injectées directement et d’un effacement de dettes. Malheureusement, les performances économiques restent timides et la population retient surtout le volet austérité (chômage, baisse de salaire etc…) de tous ces sauvetages successifs.

Dès lors, le programme de Syriza a été reçu comme un baume apaisant sur une plaie à vif. Il s’agit de demander l’effacement de la plus grande partie de la dette, d’embaucher à nouveau des fonctionnaires et créer des postes dans le privé (300 000 en deux ans pour les deux secteurs), d’étendre les droits à l’allocation chômage et de revaloriser les pensions et salaires. Il est prévu d’augmenter le salaire minimum qui passerait de 580 euros à 751 euros par mois. Pour lutter contre la pauvreté, le programme inclut également la distribution de repas gratuits et la gratuité de l’électricité pour les familles les plus démunies.

Dès le lendemain de son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras, secondé par son ministre des finances Yanis Varoufakis, entamait des négociations avec l’Union européenne et l’Eurogroupe (ministres des finances des pays de la zone Euro) afin de mettre en œuvre son programme. Toutes les hypothèses furent évoquées : défaut total ou partiel sur la dette, sortie de l’euro, sortie de l’Union européenne, rapprochement avec la Russie, conditionnement des remboursements de la dette à la croissance de la Grèce. La table des négociations a été quittée plusieurs fois. Mais le Premier Ministre grec a régulièrement fait savoir qu’il souhaitait trouver une solution respectueuse des engagements de la Grèce envers l’Europe. Dès son discours de victoire, il précisait qu’il était « prêt à négocier avec (ses) créanciers sur une solution mutuellement acceptable ».

On a finalement appris vendredi soir qu’un accord avait été trouvé entre la Grèce et les ministres des finances de l’eurogroupe. Un accord qui a toutes les caractéristiques d’une capitulation de la Grèce en rase campagne. Il s’agit en effet de prolonger de quatre mois le plan d’aide international (130 milliards d’Euros) dont bénéficie la Grèce, en échange de quoi Athènes s’engage à achever le travail du précédent gouvernement en mettant en oeuvre les réformes imposées par la Troika.

La Grèce a également promis d’honorer toutes ses dettes, ainsi que de présenter dans les jours qui viennent une liste de réformes conformes aux modalités du plan d’aide actuel. Bref, la Grèce est non seulement encore sauvée, mais elle a sauvé la face. LeMonde.fr précise même : « M. Varoufakis et Tsipras auraient dû signer le premier texte de compromis qui a été mis sur la table, le 11 février. Il était plus vague, donc plus avantageux pour eux » assure une source européenne. « Mais à ce moment-là, ce n’était peut-être pas possible, politiquement, de céder aussi vite face à Bruxelles » analyse une autre source.

Ainsi donc, il n’aura pas fallu longtemps, seulement quatre semaines, pour que le rêve d’un peuple qui, en votant Syriza, « s’est levé pour la démocratie et contre l’Europe de l’argent » (pour reprendre la teneur des termes de maints commentateurs au lendemain de l’élection), pour que ce rêve, donc, ne se fracasse sur les exigences du monde réel, et également sur la reconnaissance que l’Europe apporte bel et bien à ses membres une forme sonnante et trébuchante de soutien et de solidarité. On se demande ce que les électeurs de Syriza vont penser de tout cela.

Cette affaire n’est pas sans rappeler les promesses de campagne de François Hollande en 2012. Il était question de changer complètement la politique européenne afin de mettre fin à l’austérité et générer de la croissance. Promesses sans lendemain, car il n’y a qu’une façon de remettre à flot un pays surendetté : cesser les dépenses, libéraliser les structures de l’économie et laisser les agents économiques produire et innover librement.

Au risque de tomber moi aussi dans les facilités d’un rêve éveillé, je me prends à espérer que cet exemple particulièrement frappant de retournement complet entre campagne électorale et exercice du pouvoir fera office d’expérience pour tous les électeurs français qui se proposeraient de suivre des revendications populistes similaires, portées par l’un ou l’autre de nos partis politiques. Je pense en particulier au FN, si proche des aspirations initiales de Syriza, et, hélas, de plus en plus présent dans les élections françaises.


(*) L’association Syriza / Anel n’est pas si loufoque qu’elle en a l’air. En dépit d’une classification gauche/droite qui indique faussement que tout les sépare, les deux partis s’entendent pour rejeter l’Europe et son austérité, demander l’annulation d’une part de la dette et exiger le remboursement de prêts à l’Allemagne datant de la WWII. Ils se distinguent sur l’immigration et sur les questions sociétales, Anel étant très conservateur.


Illustration de couverture : « Smash Troïka ! » Antonin Sabot, photographe, LeMonde.fr

2 réflexions sur “GRÈCE : retour vers le réel en quatre semaines

  1. Merci pour ces explications éclairées : notamment sur ce qu’est la « Troïka » dont on ne cesse de nous parler depuis quelques semaines .
    Quelle tristesse de voir que les efforts entamés par le précédent gouvernement grec n’ont pas été salués par les habitants qui ont cru dans les propositions virtuelles de M.Tsipras … Mais les Français leur ressemblent qui préfèrent des promesses  » d’inversion de courbe du chômage  » par des emplois aidés et un taux de fonctionnaire florissant à une véritable austérité nécessaire !

    • Merci Emma pour ta lecture attentive. Nous les Français vivons dans l’illusion que nous procure l’Etat-providence : les protections sociales jouent à peu près leur rôle vis-à-vis des chômeurs et seuls les chiffres toujours croissants de déficit (de l’Etat, de la sécu, des collectivités locales) et de la dette qui en découle nous rappellent qu’il y a quelque chose de pourri dans la République. Et pour parfaire cette illusion, il y a encore des prêteurs tout disposés à nous aider pour des taux ridiculement bas… la prise de conscience a du mal à émerger.

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